Jouer c'est s'oublier
Comédien metteur en scène homme de théâtre, Pierre-Pascal Nanchen cultive l'humour souvent mordant entre deux éclats de rire
Le feu de la passion
Une structure dans tous les cas adaptée à l'expression des envies de cet homme-orchestre. «J'adore jouer mais aussi m'occuper des lumières, du décor. J'aime penser, projeter des histoires, en écrire aussi.» Une approche globale que défendait déjà l'architecte. «Je ne pouvais imaginer exercer ce métier sans savoir poser une brique...» Même dynamique donc mais au travers désormais de nouvelles constructions, le plus souvent cimentées par une bonne dose humour. Qu'il soit noir, corrosif, décalé, relevant d'extravagances, de situations cocasses... Pierre-Pascal Nanchen cultive cette «politesse du désespoir», formule attribuée à différents auteurs, qu'il qualifie de très belle. Un humour exutoire, soupape, respiration ou pied de nez aux paradoxes de la société, au côté absurde de la vie. Mais peut-on rire de tout? «Oui. Comment pourrait-on mettre des limites à ce réflexe», répond l'artiste qui apprécie en particulier les histoires touchant aux rapports humains et dont l'inspiration, plurielle, se nourrit aussi bien d'événements du passé que contemporains. «Au final, depuis la nuit des temps, on joue toujours l'être humain. Eros et Thanatos. L'harmonie et le chaos. On refait le monde à chaque fois. Et, comme au temps des Grecs, on rit. Il y a toujours cet autre d'un autre...»
Des petites serrures
Fan de Chaplin et de Buster Keaton, particulièrement à l'aise dans la pantomime, le burlesque, le comédien se glisse aussi volontiers dans la peau du salaud que celle du naïf. «Il faut savoir être méchant pour interpréter les gentils, connaître l'ombre pour découvrir la lumière et ses nuances. Mais bien sûr, ces facettes résonnent différemment en moi» précise Pierre-Pascal Nanchen soulignant, expressif, l'aspect «angélique et monstrueux de chacun». «Comme sur un grand orgue, le théâtre permet de jouer toute une gamme de notes, quelles qu'elles soient, pour mieux les canaliser, les gérer, regarder en nous.» Avant de se soumettre au regard des autres... «En montant sur les planches, j'ai le trac, bien sûr, mais il procure une saine excitation... A l'issue du spectacle, je suis le plus souvent en mode essorage», poursuit ce gai luron, débordant d'énergie, emporté par un flot de paroles lorsqu'il tente d'expliquer le ressenti quasi magique de la scène et la richesse du partage avec le public. «Quand on joue bien, il y a comme des choses qui s'ouvrent. On se sent vivant. Le préfabriqué, les préjugés volent en éclat. Jouer, c'est s'oublier. Au profit de soi. Des autres. Pour qui on est autant de petites serrures. On fait partie d'un tout qui nous dépasse.» Une intensité qui n'est certes pas étrangère à la grande sensibilité de l'acteur et à son engagement total dans les pièces, physiquement, mentalement. Tout en étant attentif à ne pas se mettre trop avant, à offrir le meilleur espace à ses partenaires de jeux...
Entre curiosité et peur
Dans la foulée, Pierre-Pascal Nanchen évoque encore le caractère libérateur du théâtre, relevant que les rôles joués - «peut-être aussi une manière de me cacher de moi» - lui donnent la possibilité d'échapper à une seule étiquette. «Depuis tout petit, on nous demande de nous définir et après on reste enfermé dans ce champ. C'est peut-être pourtant l'informe qui nous définit», lance le quadragénaire fourmillant d'idées, qui a fait de la curiosité son moteur dans l'existence et accepte volontiers de se laisser bousculer, déranger, heureux d'apprendre à tout âge. Non sans crainte, d'autant plus que la voie choisie par cet indépendant est précaire. «Je crève de trouille mais j'agis quand même. J'ai peur d'être statique. D'avancer. Mais cette peur me met en condition. Je veille à ce qu'elle ne se transforme pas en angoisse, alors nécrotique», confie le Valaisan qui se dit néanmoins heureux malgré les difficultés, associant le bonheur «à la possibilité de goûter aux choses» et menant l'existence désirée. Avec plusieurs atouts en main dont son joker, le rire, cette si précieuse distance... Et alors qu'il se dit ému par l'image du clown ôtant, le rideau tiré, son maquillage. «Le masque enlevé, c'est parfois le désert...»
Sonya Mermoud
Davantage d'informations: www.obsidienne-compagnie.ch