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«Ecouter l’autre en passant par notre humanité commune»

Fiuna Seylan Ongen
© Olivier Vogelsang

Fiuna Seylan Ongen garde l’espoir que la justice triomphera. Dans l’ombre, les processus de dialogue préparent l’avenir. 

Fiuna Seylan Ongen s’engage pour la paix. Ancienne présidente de Coexistences, elle continue à promouvoir le dialogue entre les peuples palestinien et israélien.

La multiculturalité et le métissage, Fiuna Seylan Ongen les porte en elle. Japonaise, Turque et Suissesse, sa curiosité et son ouverture aux autres découlent peut-être de là. Enfant, elle jouait déjà les médiatrices entre ses grands-parents japonais en visite et ses aïeuls turc et suisse, essayant de faire en sorte qu’ils se comprennent mieux. Elle naît et grandit à Paris, passant ses vacances d’été en Turquie, patrie de son grand-père; Noël et Pâques en Suisse, à Zurich, pays de sa grand-mère.

Si ses grands-parents l’appellent, avec tendresse, kaplumba – petite tortue, en turc –, dans la cour d’école, elle doit supporter paradoxalement le surnom de «dragon», en référence à ses origines asiatiques. «Dans les années 1970, il n’y avait pas beaucoup de métisses et la culture était très centralisée. Ce n’était pas toujours facile...» se remémore-t-elle, avec un calme qui ne semble jamais la quitter. 

A 23 ans, elle quitte Paris, après des études en management, pour étudier l’anthropologie et la sociologie au Japon. Grâce à son profil atypique, elle est engagée dans le secteur marketing d’une multinationale. Ce poste lui offre l’occasion de vivre en Grèce, en Turquie, au Portugal, à HongKong et en Malaisie. Ce dernier pays la marquera beaucoup. «Malgré les colonisations successives et les différences culturelles entre les Malais, les Chinois et les Indiens, la Malaisie a réussi à faire pays», explique la polyglotte, qui parle le français, le turc, le japonais, l’anglais, l’allemand et l’espagnol.

En 2002, l’expatriée de toujours s’installe en Suisse, se marie et met au monde deux enfants. 

«Je suis une Suissesse de l’étranger. Je n’ai pas grandi en Suisse, mais ma grand-mère a joué un rôle important dans mon enfance. Elle m’a transmis ses valeurs. J’ai trouvé ici un plus grand respect de l’étranger que dans les autres pays. La Suisse peut être froide, mais j’apprécie beaucoup son héritage du consensus», explique celle qui a aussi été touchée par l’ouverture du consul suisse en Malaisie, qui lui avait demandé de faire le discours du 1er Août.

Engagement bénévole
Dès 2008, Fiuna Seylan Ongen s’engage comme famille d’accueil dans l’organisation Coexistences qui soutient le dialogue entre Israéliens et Palestiniens. Elle devient membre du comité, puis présidente en 2013. Ce, jusqu’à fin 2024. «J’avais déjà prévenu en 2022 que je me retirerais. Je sentais un peu d’usure, et j’ai beaucoup porté toutes ces années», explique la bénévole, qui n’a jamais compté ses heures. 

L’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 l’a laissée sans voix. «J’ai eu immédiatement peur que les conséquences soient terribles de la part d’un Gouvernement israélien absolument impitoyable.»

Toujours engagée, elle a participé cet été à l’accueil de jeunes filles, israéliennes et palestiniennes… «Le séjour en Suisse fait partie intégrante du processus qui commence et continue sur place. Il permet de souder les participantes qui s’engagent dans des projets concrets», explique-t-elle, enrichie par ces rencontres.

Fiuna Seylan Ongen est également membre du conseil consultatif de l’ONG B8 of Hope qui finance des initiatives conjointes des sociétés civiles des deux peuples. «On soutient les voix alternatives, celles qui parlent de solutions et travaillent à construire des ponts pour freiner la polarisation.»

Construire la paix
Ses études récentes en construction de la paix à l’Université de Bâle lui ont ouvert encore d’autres portes de compréhension: «Cette formation m’a permis de comprendre comment notre petite action s’inscrit dans l’effort global de résolution des conflits. Je suis convaincue de l’absolue nécessité de donner une place à tous, y compris les populations marginalisées. L’inclusivité est la base d’une société solidement ancrée dans la paix. Ecouter l’autre de manière active en passant par notre humanité commune permet de comprendre le vécu de celui qui est différent et de créer une base de confiance.» Citant des dizaines de processus de paix – au Rwanda, en Afrique du Sud, en Amérique latine, au Libéria… – elle prend pour modèle la résolution du conflit en Irlande du Nord soutenue, dans l’ombre, par 630 initiatives citoyennes. «C’est un exemple pour le conflit israélo-palestinien. Mais ce travail se fait à trop petite échelle et en dépit de ce Gouvernement israélien qui considère les groupes de dialogue comme des lieux de subversion», affirme Fiuna Seylan Ongen.

«Le 7 octobre a été un traumatisme et beaucoup d’Israéliens n’en sont pas sortis, rendant possible l’indifférence et le déni d’une partie d’entre eux vis-à-vis de l’horreur perpétrée en leur nom. Reste qu’ils sont des milliers à manifester contre la politique de Netanyahou en brandissant des images d’enfants palestiniens tués. C’est inacceptable que chaque jour 40 à 50 personnes meurent, dont certainement aussi des otages. Cela doit cesser immédiatement!»

Elle ne cache pas sa stupéfaction face à l’inaction du Gouvernement suisse qui continue de soutenir la politique israélienne, malgré les prises de position contraires d’anciens diplomates suisses, de membres de l’administration ou encore d’ONG. «La Suisse ne défend même pas les principes de droits humains de la Convention de Genève. Le gouvernement de Netanyahou est pourtant dans une fuite en avant et une vengeance terrifiante. Chaque fois, on se dit que le pire est arrivé, et il y a encore pire… Comment est-ce possible de nos jours?» s’émeut Fiuna Seylan Ongen, qui en appelle à l’engagement de tous. Reconnaissant aux participants à la flottille internationale en mer pour Gaza leur courage, elle confie: «Personnellement, je me sens mieux dans un travail engagé lent et constant. Dans ce sens, je ne me sens pas activiste.» Si elle se dit réaliste et pessimiste de nature, elle conclut pourtant: «Les processus de dialogue nourrissent un certain espoir et font sens malgré cette actualité complètement folle. “L'arc de l'univers moral est long, mais il tend vers la justice”, disait Martin Luther King. Il y a toujours le jour d’après: cette guerre va s’arrêter un jour et ces deux populations devront construire un avenir commun, car ni les uns ni les autres ne vont disparaitre de ce bout de terre.»