«Le territoire que j’ai connu et arpenté n’existe plus. Ce qu’il en reste défie les mots.» Chroniqueur au Monde, professeur en histoire du Moyen-Orient à Sciences Po Paris, Jean-Pierre Filiu séjourne régulièrement à Gaza depuis 1980. Pourtant, comme il le confie dans son livre paru dernièrement*, Un historien à Gaza, rien ne le préparait à ce qu’il a vu dans l’enclave palestinienne du 19 décembre 2024 au 21 janvier 2025. Pendant un mois, le Français a accompagné une mission humanitaire de Médecins sans frontières, seul moyen pour lui de pénétrer sur cette bande de terre assiégée et bombardée par l’armée israélienne. Un témoignage d’autant plus marquant que les journalistes étrangers ne sont pas autorisés à se rendre à Gaza et que les journalistes gazaouis tombent les uns après les autres sous les balles israéliennes.
Au péril de sa vie, l’historien voulait séjourner dans ce territoire dévasté et le voir de ses propres yeux, pour mieux appréhender cette guerre et, comme il le dit, «pour que mes mots retrouvent leur sens dans la réalité de Gaza pendant que d'autres, loin, si loin de Gaza, préféraient s'écharper pour des mots, s'exaltant de leur bon droit et s'enivrant de leurs surenchères, prêts à faire la guerre jusqu'au dernier Palestinien et jusqu'au dernier Israélien». Jean-Pierre Filiu porte sur ce conflit un regard critique qui n’épargne ni l’armée israélienne, ni les bandes de criminels pillant les convois humanitaires sous le regard complaisant des soldats de Tsahal, ni le jusqu’au-boutisme du Hamas.
Son récit, qui raconte au jour le jour la réalité de la guerre et le quotidien des Gazaouis, auxquels il donne beaucoup la parole, est ponctué d'éclairages historiques. De quoi remettre la tragédie en cours dans la perspective de l'interminable conflit israélo-palestinien. Une lecture essentielle pour mieux comprendre la situation à Gaza et la replacer dans une dimension humaine qu’éludent les décomptes morbides des journaux télévisés. K
AG
* Jean-Pierre Filiu, Un historien à Gaza, Ed. Les Arènes, 2025.