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Navigation à contre-courant

Deux constructeurs de bateaux dans leur atelier.
© Olivier Vogelsang

Camille Fumat et Sébastien Godard, les deux associés à la barre du chantier naval de La Mestre.

L’équipe du chantier naval de La Mestre, à Allaman, construit et restaure des bateaux en bois, perpétuant un savoir-faire ancestral. Cap sur une pratique valorisant la durabilité.

A la barre, on trouve Camille Fumat et Sébastien Godard. Les associés pilotent depuis 2022 le chantier naval de La Mestre, à Allaman, dans le canton de Vaud. Tous deux construisent, réparent et entretiennent des bateaux classiques en bois – coques en mélèze ou en acajou, membrures en acacia ou encore chêne pour les parties structurelles. Tous deux ont été formés par Jean-Philippe Mayerat, dit Mayu, une référence dans le domaine, qui a pris sa retraite. En cette radieuse matinée de juillet, devant le hangar, un voilier sue littéralement sous la chaleur. «On le fait goger. En d’autres termes, on l’a rempli d’eau pour que le bois regonfle, afin d’en assurer l'étanchéité. Une opération réalisée chaque année ou tous les deux ans», indique Camille Fumat, avant de nous inviter à la suivre à l’intérieur de l’atelier. Un espace aux effluves de vernis et de sciure, vibrant au bruit des perceuses, raboteuses, ponceuses, marteaux, scies et autres ciseaux... Et caisse de résonance d’un vocabulaire spécifique, entre carénage, bordage, quille, étrave, gréement, etc. Dans ce lieu sommeillent une dizaine d’embarcations à rame et à voile-aviron en phase de rénovation. «C’est l’essentiel de notre activité. Depuis qu’on s’est lancé, nous n'avons, hélas!, pas effectué de nouvelles constructions. En revanche, nous avons d’importantes restaurations en cours», raconte la jeune femme de 30 ans, tout en présentant Juliette, un élégant modèle provenant de France et datant de 1905.

Méthodes ancestrales
«La moitié de ses pièces sont d’origine. Le bateau a été bien entretenu et correctement stocké», ajoute la passionnée, touchée par le vécu de l’objet, propriété du musée du Léman. «Nous avons à cœur de respecter les plans initiaux et le travail du constructeur», ajoute la trentenaire, insistant sur l’esprit du chantier, qui vise à valoriser le patrimoine et limite le recours aux matériaux et aux technologies modernes. «Nos méthodes sont ancestrales. Nos gestes, semblables à ceux d’il y a cent ans. Tout est réparable et démontable, assemblé, vissé, boulonné. Nous n’utilisons que très peu de colle.» Une approche largement mise en avant par le deuxième patron. «Je ressens du plaisir à naviguer à contre-courant. Les ports sont saturés de bateaux en plastique. Une vision du lac que je n’aime pas», critique Sébastien Godard, ravi de «ce pied-de-nez» aux pratiques actuelles. «Nous avons opté pour une autre manière de faire, alternative, s’appuyant sur le respect du passé», ajoute l’homme de 47 ans, issu d’une famille marine. «Avec une mère bretonne, il y avait quasi une pression atavique à ce que je m’oriente vers le nautique», indique celui qui a pourtant débuté son parcours professionnel en réalisant des dessins animés pour le cinéma. Mais qui conserve intact son amour de la création.

Un travail tout en rondeur
«J’adore réaliser des choses, comprendre et reproduire une pièce dans la même idée qu’elle a été pensée», partage le professionnel, insistant encore sur le caractère militant et écologique de l’initiative. Quand il a du temps, ce manuel navigue volontiers avec son fils de 12 ans sur sa «liquette», nom d’un petit bateau de pêche disparu dans les années 1900, dont il ne reste aujourd’hui, avec le sien, que trois exemplaires. «J’apprends à mon aîné à ramer. Un autre monde est possible, hors de la consommation de masse», poursuit Sébastien Godard, soulignant le caractère anachronique de la démarche. «J’ai également du plaisir à sortir avec notre voilier de chantier, le Vainqueur, qui me laisse les mains libres pour boire une bière ou faire coucou aux personnes croisées», sourit le constructeur. Camille Fumat possède pour sa part un dinghy. «Une coquille de noix de 3,70 mètres, à clins, parfaite pour apprendre à naviguer, mais qui nécessite beaucoup de travaux», commente la dynamique et volubile Vaudoise d’adoption, en montrant l’objet. Avant de poursuivre la présentation d’autres embarcations attendant d’être remises en état, comme un voilier anglais de 1935 qui a trouvé un nouveau port d’attache à Morges et dont il faut changer le bordage, ou encore un petit canot de plaisance typique du lac Léman qui a conservé sa coque d’origine datant de 1938. «Les qualités requises pour exercer ce métier? Il faut bénéficier d’une vision d’ensemble, être capable de se projeter dans l’espace, se montrer précis, disposer d’un sens de l’esthétique et d’une bonne condition physique. Parfois, on passe toute la journée à raboter», détaille la menue jeune femme, notant encore que tout est arrondi dans ce travail et assez intuitif. «Une activité très complète.»

Faire corps avec la nature
Le duo – épaulé par deux collaborateurs réguliers et un apprenti – défend aussi le volet social de l’entreprise. Et organise des journées portes ouvertes, accueille des classes d’élèves et propose aux propriétaires de participer à l’entretien de leur bateau. Avec, alors, l’idée de leur faire bénéficier de ses outils, matériel et conseils. Jordan et son grand-père œuvrent à la réfection des bordages en clins de leur canot. Les deux hommes, unis par la même passion, n’attendent que le moment de remettre leur petite embarcation à l’eau et d’en profiter. «Ce qu’on ressent alors? On n’est plus là. On fait corps avec la nature, le soleil, le vent», lance le retraité, qui possédait autrefois un bateau de 11 mètres. «On dépend de la météo. On laisse les problèmes derrière. C’est la paix, sans réseaux, sans regarder la montre», renchérit le jeune homme de 25 ans, ajoutant qu’avec un petit navire comme le sien, on se sent d’autant plus humble. «On est pareil à un grain de riz flottant sur l’eau», image-t-il, tout en signalant d’autres dégâts à réparer, examinant une planche vermoulue. «Cet endroit est super, l’équipe top. Des fous comme nous», rigole Jordan, soulignant encore que les conseils reçus ici se révèlent inestimables. Il espère terminer le job à temps pour participer à la Fête des canots de Rolle. «De quoi booster notre motivation», affirme le bricoleur, qui, des étoiles dans les yeux, raconte avoir, avec ce bateau et la famille, beaucoup navigué dans la région de la Pointe de Promenthoux, entre Dully et Nyon, sur la rive nord du Léman où ils allaient se baigner. Un souvenir qui déjà lui fait prendre le large... 

Davantage d'informations: lamestre.ch