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«La responsabilité solidaire doit être améliorée»

Bâtiment avec des échafaudages.
© Neil Labrador

En 2014, sur un chantier public des Hôpitaux universitaires de Genève, Unia avait constaté de multiples violations du droit du travail par un sous-traitant polonais, dont les employés étaient entre autres payés 8 euros de l’heure.

Après onze ans de procédure, des travailleurs détachés de Pologne exploités sur un chantier public genevois ont pu être indemnisés. Un parcours du combattant soutenu par Unia.

L’heure est au soulagement pour les anciens travailleurs de Blato, une entreprise de sous-traitance polonaise dans le domaine du bâtiment. Ils ont enfin obtenu gain de cause après onze ans de procédure. Rappelons brièvement les faits. En 2014, alerté par d’autres ouvriers du chantier public des Hôpitaux universitaires de Genève BATLab, Unia effectue un contrôle et constate de multiples violations du droit du travail concernant les employés de Blato, sous-traitant de l’entreprise allemande Lindner Fassaden GmbH. En effet, ils sont payés 8 euros de l’heure, les frais et les vacances ne sont pas payés, le temps de travail pas respecté et de surcroît ils logent à 50kilomètres du chantier, en France, entassés dans des logements à la limite de la salubrité. A la suite du contrôle, les travailleurs de Blato seront amenés de force en Allemagne et contraints de signer des fausses fiches de salaire. Unias’engage dès lors à soutenir ces quatre travailleurs, notamment lors d’un procès aux Prud’hommes. Le parcours aura été un véritable chemin de croix, mais aboutit, onze ans plus tard, à l’indemnisation complète des travailleurs, soit environ 25 000 francs chacun d’arriérés de salaires.

Les lacunes du système
Certes, on peut parler d’une victoire, mais le chemin aura été semé d’embuches. Lors d’une conférence de presse le 18 novembre, Unia et les avocats en charge du dossier sont revenus sur les limites du principe de responsabilité solidaire, et l’urgence de l’améliorer.

«En 2017, dans un jugement définitif, le Tribunal des Pru’hommes  a admis la totalité des créances des travailleurs, tout comme le fait que Lindner n’a pas rempli son devoir de diligence. Donc ces derniers obtiennent gain de cause sur le fond, mais le Tribunal estime par ailleurs qu’on ne peut pas engager la responsabilité de Lindner car la condition de subsidiarité n’est pas remplie», explique Caroline Renold, avocate. Pourtant, Blato et ses responsables sont aux abonnés absents et ne répondent à une aucune convocation: une vraie entreprise fantôme.

«Les travailleurs ont donc dû agir en Pologne et obtiennent en 2023 la radiation de l’entreprise, poursuit-elle. Une nouvelle requête contre Lindner est déposée en 2024 pour engager sa responsabilité en tant qu’entreprise principale, et en septembre dernier, un accord est conclu. Le dénouement est favorable, bien que les travailleurs se retrouvent spoliés de leurs cotisations sociales, la Loi sur les travailleurs détachés prévoyant que seul le salaire net est dû…»

Soutien déterminant d'Unia
Un chemin de croix qui n’est pas accessible à tout le monde, dénonce Christian Dandrès, autre avocat chargé de cette affaire. «La loi exige qu’il faut d’abord poursuivre son employeur dans son pays d’origine, et ce n’est qu’en cas d’échec qu’on peut se retourner contre l’entreprise principale. Il faut monter le dossier, faire venir les plaignants lors des audiences, les loger en Suisse, prévoir des interprètes: tout cela est lourd en logistique et coûteux en frais. Sans Uniaderrière, ils n’auraient jamais intenté cette procédure, faute d’armes suffisantes. Le principe de responsabilité solidaire est un bon pas, mais il faut faire un effort supplémentaire pour que les travailleurs exploités soient plus facilement protégés. Cette affaire a levé le voile sur une réalité sordide, qui est celle de la surexploitation d’employés très précaires venant de régions pauvres de l’Europe. Ce n’est pas une erreur, mais un véritable système.»

Les trois travailleurs victorieux sont ravis, rapporte Artur Bienko, secrétaire syndical d’Unia Genève d’origine polonaise qui a fait le lien avec eux. «Ils n’y croyaient plus. Ils ont bien rebondi depuis. Ils ont fondé leurs familles, l’un d’entre eux a monté une entreprise familiale, un autre a décroché un emploi stable en Pologne.»

Une loi au bilan mitigé
Nico Lutz, membre du comité directeur d’Unia responsable du secteur de la construction, revient sur l’introduction de la responsabilité solidaire en 2012, après une campagne politique et syndicale de plusieurs années. «Plusieurs scandales de dumping salarial ont secoué la Suisse.» Les employeurs ont rallié la cause et une loi a pu être votée par le Parlement. Le bilan est mitigé.

«Politiquement, l’impact a été assez important car les entrepreneurs se sont retrouvés confrontés à des risques engageant leur responsabilité et ils ont commencé à être plus attentifs à qui ils donnaient du travail. Et indirectement, quand on a arrêté les chantiers face à un cas de dumping crasse, les entreprises ont souvent été prêtes à régler les créances afin de ne pas perdre de temps et d’éviter d’avoir affaire à la justice.»

Juridiquement, par contre, le responsable syndical déplore que la responsabilité solidaire soit restée lettre morte. «Le procès BATLab a mis en lumières les difficultés juridiques. C’est l’un des rares cas où la responsabilité des sous-traitants a conduit à une indemnisation des travailleurs lésés.»

Partant, les syndicats ont demandé une extension de la responsabilité solidaire dans le cadre du dernier paquet de mesures visant à garantir la protection des salaires (Bilatérales III). «Si elle est adoptée par le Parlement, cette mesure exigera que le premier sous-traitant soit non seulement responsable des créances des travailleurs concernés mais aussi des créances des organes de contrôle, soit des amendes et autres imposées par les commissions paritaires», souligne Nico Lutz.L’objectif? Permettre une plus grande pression sur les entreprises principales afin qu’elles travaillent avec des entreprises qui n’ont pas commis d’infractions.

«C’est une amélioration essentielle et nécessaire, même si elle ne va pas tout résoudre, reprend-il, car le dumping reste un problème en Suisse: il faut davantage de contrôles et de mesures efficaces de protection des salaires!»

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