«Une jeunesse ni pire ni meilleure que celle d’hier»

Salomé Saqué a mené durant une année et demie une vaste enquête auprès des jeunes.
Journaliste et essayiste française auteure de deux livres à succès, Salomé Saqué donnera une conférence à La Chaux-de-Fonds sur les liens entre jeunesse et engagement. Interview.
Quelles sont les difficultés, les aspirations, les peurs de la jeunesse française? Se mobilise-t-elle pour différentes causes? Des questions abordées par la journaliste française Salomé Saqué dans son livre publié en mars 2023, Sois jeune et tais-toi: Réponse à ceux qui critiquent la jeunesse. Pour réaliser son projet, la jeune femme de 29 ans a mené durant une année et demie une vaste enquête, interrogeant plus d’une centaine de jeunes de tous bords et de tous milieux sociaux. Elle a également pris connaissance de l’ensemble des études sociologiques et académiques consacrées à la thématique.
La jeunesse en France est-elle engagée?
Il n’y a évidemment pas une mais plusieurs jeunesses en France. Et comme en Mai 68, une partie d’entre elles s’engage. On ne constate pas de recul en la matière. Un jeune sur cinq fait partie d’une association altruiste et un sur deux d’une association tout court. Contrairement à des idées reçues, les jeunes ne restent pas confinés dans leur chambre à jouer à des jeux vidéo. Nombre d’entre eux aspirent par ailleurs à exercer des métiers qui font sens, davantage intéressés par ce critère que par le salaire.
Les formes de mobilisation ont-elles changé?
Parmi les personnes qui se mobilisent, un pan ne recourt pas aux outils traditionnels qui fédéraient les générations précédentes comme les manifestations, les pétitions, la voie politique. Elles agissent de manière plus ponctuelle pour une cause et sont souvent sensibilisées via les réseaux sociaux. Elles peuvent par exemple alors décider de boycotter un produit.
L’option politique intéresse moins les jeunes?
Effectivement. Mais de manière générale, les jeunes ont toujours moins voté. C’est une période où l’on façonne ses opinions. Et on est davantage mobile géographiquement – il faut alors en France recourir à des procurations pour voter. Il n’en reste pas moins qu’on assiste à une perte de confiance des jeunes dans les institutions, les partis, les responsables politiques.
Quelles sont les principales causes propres à fédérer la jeunesse?
L’écologie – même si on n’agit pas nécessairement au quotidien – les questions féministes et LGBTQIA+, mais aussi très fortement celles liées à la démocratie. Le déclenchement de l’article 49.3 par exemple pour faire passer la réforme des retraites a été vécu comme un déni de démocratie. De nombreux jeunes ont alors rejoint les rangs des manifestants, estimant que les dirigeants avaient outrepassé leurs droits.
Dans un registre alarmant, j’observe par ailleurs un intérêt croissant de jeunes pour le masculinisme – un mouvement fragmenté mais basé sur l’idée de l’infériorité des femmes.
Pourquoi nombre de jeunes ont-ils conscience de la nécessité de se mobiliser mais ne passent pas à l’acte? La peur explique-t-elle cette situation?
Il s’agit davantage d’un sentiment d’impuissance. Sur la thématique climatique, on se dit souvent, «foutu pour foutu, je n’ai pas de raison de me sacrifier». De nombreux jeunes affirment qu’ils seraient prêts à réduire leur consommation de viande, limiter leurs voyages en avion, etc., si toute la population était contrainte aux mêmes efforts. C’est une question de justice.
Une attitude légitime...
La jeunesse doit être comprise, non jugée ni idéalisée. Elle a ses contradictions et n’est ni pire ni meilleure que celle d’hier. Mais elle hérite de conditions de vie nettement plus difficiles. Le climat est anxiogène entre les problèmes environnementaux, une guerre sur le sol européen, un contexte économique délétère. La qualité des emplois en France s’est détériorée, les protections sociales ont baissé, la précarité a augmenté. Sans oublier les difficultés liées au logement. Selon un sondage de l’IFOP, deux fois plus de jeunes que les générations précédentes estiment avoir de la malchance de vivre à notre époque. Et ne parviennent pas à se projeter dans le futur, estimant que le monde va continuer à se dégrader.
Dans votre dernier livre, Résister, vous dépeignez les mécanismes et dangers liés à la montée de l’extrême droite et appelez à réagir et à cultiver la joie.
Face à la morosité, l’action est une solution. L’immobilisme alimente le sentiment d’impuissance. Je crois aussi que pour réussir à contrer ces idées haineuses, nous avons besoin de joie. La résistance n’a pas à être sombre et austère, elle peut, parce qu’elle rassemble, être un espace de rires, d’enchantement et de réjouissances. La joie est quelque chose d’infiniment sérieux. Ce sentiment, loin d’être mièvre, est une réponse subversive à un système qui tente de nous isoler en jouant sur nos peurs.
Club 44, jeudi 30 janvier, à 20h15, rue de la Serre 64, La Chaux-de-Fonds