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Repenser la place du travail, une exigence écologique

Banderole travailler moins pour polluer moins et vivre mieux.
© Olivier Vogelsang / Archives

Pour le philosophe Dominique Bourg, notre civilisation a survalorisé le travail, et nous transformons le monde au-delà de toute nécessité, réduisant la nature à un stock de ressources à exploiter 

Le rendez-vous des alternatives, Alternatiba Léman, se déroule du 1er au 6 septembre. Parmi les conférences prévues, le philosophe Dominique Bourg en donne une sur le travail.

Du 1er au 6 septembre 2025, Alternatiba Léman revient pour une semaine de rencontres, conférences, ateliers et stands afin de nourrir la transition écologique et sociale. Cette manifestation, dont la première édition a eu lieu en 2014, veut mettre en lumière et en liens les solutions locales et citoyennes aux grands défis du réchauffement climatique et des inégalités. Avant le Village des Alternatives qui réunira une centaine d’organisations au parc des Bastions à Genève, le samedi 6 septembre, des soirées de conférences et d’ateliers aux titres évocateurs traiteront de plusieurs thèmes: «Le futur accélérateur du CERN en collision avec la démocratie», «Notre santé, notre planète», «Décroissance: choisir ou subir?», «La démocratie vous écoute-t-elle?». Elles auront lieu à l’Université de Genève, Uni Mail et à la Manufacture collaborative (MACO). Mardi 2 septembre, dès 18h, le travail sera au cœur des discussions à la MACO. L’intitulé de la soirée entre conférences et ateliers: «Réinventons ensemble le travail de demain. Nouveaux sens, nouvelles organisations.» Le philosophe écologiste, Dominique Bourg, introduira la soirée par une conférence. En préambule, il nous livre quelques-unes de ses réflexions.

Comment appréhendez-vous la notion de travail?
Nous sommes une civilisation bizarre qui a survalorisé le travail et l’action au détriment de la contemplation, du laisser-être, de la pure connaissance. Comme Adam au Paradis, nous travaillons et transformons le monde au-delà de toute nécessité. L’avènement de la science moderne nous a par ailleurs conduits à nous imaginer extérieurs à une nature réduite à un stock de ressources à exploiter. Cet héritage moderne est effrayant. Darwin, en pionnier, s’est érigé contre ce dualisme et a rappelé que nous appartenons à la nature. Il reste que nos modes de faire lui sont contraires. A Genève, l’échec du Traité sur les plastiques en est un exemple: les molécules que nous créons, notamment les polymères, sont stables, elles ne se laissent pas ramener à leurs composants atomiques. Elles se fragmentent seulement et s’accumulent dans tous les milieux. Les êtres humains polluent, alors que le reste de la nature, lorsqu’un organisme meure, le décompose et ne laisse aucun déchet. 

Quelles pistes voyez-vous, au niveau de notre rapport au travail, pour remédier à la crise sociale et environnementale?
Il va falloir moins transformer la nature autour de nous et, dans certains domaines, notamment l’agroécologie, travailler manuellement plus parce que nous disposerons notamment et probablement de moins d’énergie et de matériaux, ainsi qu’apprendre à développer nos activités en harmonie avec nos écosystèmes. La low-tech est une option pour rendre la technologie moins destructrice. Le biologiste Olivier Hamant propose des techniques visant la robustesse plutôt que la performance, car actuellement nous produisons des choses certes très performantes, mais aussi très fragiles et destructrices. Ça va prendre du temps et, avec l’IA, nous n’en prenons pas le chemin…
Ces orientations techniques nouvelles devraient être solidaires de transformations sociales non moins importantes. D’un point de vue social, développer et respecter les communs (soit des ressources gérées collectivement, ndlr) est essentiel. Or, ceux-ci sont incompatibles avec le capitalisme. La refonte de nos sociétés exige non seulement de changer les techniques, mais aussi de transformer l’organisation sociale et politique. Sortir du productivisme pour favoriser la contemplation, avec un retour partiel au manuel. 

Quelle est la place des syndicats, selon vous?
Ils ont un rôle très important à jouer… et qu’ils ne jouent plus assez. Nous sommes face à un capitalisme destructif, encore renforcé par l’IA, car beaucoup de métiers vont disparaître. Les syndicats sont donc essentiels. Reste qu’ils ne doivent pas défendre un système et des industries qui nous tuent.

Vous préconisez de travailler moins et de consommer moins…
C’est le b.a.-ba, car les flux d’énergie et de matière sont beaucoup trop importants pour notre système-Terre. Nous devons apprendre à produire moins de biens, à aménager moins d’infrastructures et à insérer nos activités dans les écosystèmes sans les détruire. Nous en sommes loin! Compte tenu des dégradations écologiques qui vont s’accélérer (hausse des températures et événements extrêmes), produire notre nourriture va rapidement redevenir une tâche aussi périlleuse que fondamentale. Il n’est pas impossible qu’il en découle une refonte de la distribution du travail. 

C’est une révolution…
Quand on commence à défaire un système, on ne voit que le négatif, le désordre. Pour éviter de tout détricoter et de se retrouver nu, il faudrait arriver à élaborer des poches d’expériences relativement autonomes. Toute la difficulté vient de cette interdépendance. Reste que, si l’on ne change pas de système, le réchauffement va continuer. Avec 2°C en plus (par rapport à l’ère préindustrielle, ndlr), c’est 2 milliards de personnes qui ne pourront plus se nourrir… C’est effrayant! Tout comme les hectares de forêts qui ont brûlé cette année en Europe. Nous sommes déjà dans l’urgence, mais les Etats ne font rien, ou si peu. Tout est à l’avenant. Nous n’échapperons pas à une certaine forme de désordre. Déjà aujourd’hui la misère est présente aux Etats-Unis et en Europe. Or, à la fin du XIXe siècle, les gens se sont révoltés pour de meilleures conditions de travail et des droits sociaux. Aujourd’hui, ceux qui subissent le système oscillent entre la passivité et les sirènes du fascisme. Les gens qui subissent le plus ne vont pas pouvoir continuer à nier les problèmes (quand on voit l’été qu’on a passé) et à chercher des boucs émissaires (les étrangers). Cette illusion ne peut pas tenir, car l’extrême droite fait crever sa base.

Ne faut-il pas transmettre des récits de futurs désirables?
Il y a toujours une face négative et une face positive. La décroissance par exemple, vue comme négative par beaucoup, permet pourtant de gagner en temps d’épanouissement, de se soustraire à la pression du travail, de générer de la solidarité, de restaurer les grandes qualités humaines… et de réenchanter la nature! C’est ça le positif. Je crois beaucoup dans l’accumulation des petits changements à l’échelle locale. Face à ce monde tellement noir et en crise, face aux dégradations environnementales exponentielles (chaleurs sèche et humide, sécheresse, pluies torrentielles, feux, aridité, etc.) qui touchent aussi la Suisse, soit on se laisse crever, soit on essaie de faire autre chose. Des changements très profonds sont nécessaires pour sauver nos capacités de nous nourrir et les écosystèmes. Avec le statu quo, on meurt. 

Le programme d’Alternatiba Léman: alternatibaleman.org

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