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Quand la quête d’emploi se heurte aux préjugés

Mini bande dessinée. Un Suisse dit "J'ai fait 25 ans dans le tertiaire!" Un migrant lui répond: "J'ai fait l'école primaire, l'universitaire, la guerre, le désert, le Niger... Madère, la mer... les frontières, j'ai fait avec les humanitaires les organisations solidaires chez les missionnaires dans les communautés minoritaires. Mais... jamais en Suisse dans le tertiaire! Ce serait super!"
© Vivre Ensemble/Ambroise Héritier

Les personnes issues de l’asile souhaitent travailler avant tout pour se sentir utiles, être autonomes, rencontrer des gens, parfaire leurs connaissances de la langue, contribuer à la société qui les accueille, ou encore faire vivre leur famille. Or, malgré leurs nombreuses qualités, leur intégration professionnelle reste semée d’embuches.

L’association Vivre Ensemble publie un guide afin de faciliter l’intégration des réfugiés dans le monde professionnel

«Quand on arrive ici, les gens nous voient comme une page blanche.» Ce témoignage d’une travailleuse sociale immigrée figure dans la brochure intitulée Réfugié.es & emploi. Au-delà des idées reçues. Publiée par l’association Vivre Ensemble, elle a été écrite avec le soutien du Bureau de l’intégration de Genève, du CSP, de l’association Yojoa, de médiatrices interculturelles, d’employeurs et de réfugiés. Elle met en lumière la difficulté de l’intégration professionnelle des personnes concernées par l’asile, due essentiellement à la méconnaissance du cadre administratif et des représentations biaisées ou stéréotypées des employeurs. Comme en témoigne le coureur de fond Tesfay Felfele pour Vivre Ensemble*, qui a suivi une formation de masseur, puis de vendeur en articles de sport: «Quand je suis arrivé, ça a été difficile de m’intégrer dans le système suisse. Avec un permis F ou N, c’est très compliqué de trouver du travail. Quand j’ai rencontré Laurent [son employeur], je ne parlais pas bien français, je ne comprenais pas grand-chose, mais il a eu confiance en moi et je le remercie encore.» Reste que de nombreux patrons se questionnent sur le cadre légal, craignent une procédure compliquée ou l’instabilité du statut de leur employé. Le guide leur est destiné en premier lieu, mais donne aussi des pistes pour les associations de défense des migrants et pour les personnes titulaires d’un permis N (demande en cours), F (admission provisoire) et B, ainsi que S (Ukrainiens). La brochure souligne le droit de travailler quel que soit le statut, exception faite des requérants d’asile pendant les trois premiers mois après le dépôt de leur demande. Une interdiction qui peut être prolongée jusqu’à six mois si la personne réside encore dans un centre fédéral.

Un formulaire suffit

Pour engager une personne titulaire d’un permis B ou F, il suffit de remplir un formulaire d’annonce en ligne, quel que soit le secteur d’activité (easygov.swiss). Pour les permis N ou S: l’employeur doit demander une autorisation auprès du Canton. «Les conditions de travail sont contrôlées afin d’éviter la sous-enchère salariale», indique Sophie Malka. La coordinatrice et rédactrice en chef de l’association Vivre Ensemble remarque que la dénomination «admission provisoire» pour les permis F est souvent mal comprise. «Les employeurs sont réticents, car la durabilité de l’engagement est importante pour eux. Mais il faut savoir qu’une grande majorité de ces personnes obtiennent à terme un permis de séjour stable.» Soit 84% d’entre elles, comme le précise le guide. En 2022, plus de 42% des personnes titulaires du permis F sont en Suisse depuis plus de sept ans. Et certaines, depuis plus de vingt ans. Vivre Ensemble rappelle qu’au total, 70% des personnes demandant l’asile en Suisse obtiennent une protection: «C’est avant tout la guerre et l’insécurité que les personnes fuient et non des aléas économiques, d’où un taux de protection élevé.»

De nombreuses compétences

Le guide met également en lumière les qualifications des demandeurs d’asile: les trois quarts ont plus de trois ans d’expérience professionnelle, et un quart plus de dix ans; près de 45% ont achevé des hautes études ou une formation professionnelle et plus de 75% ont terminé la scolarité obligatoire. Comme en témoigne une réfugiée: «Les gens connaissent la Syrie à travers l’actualité de la guerre, mais on ne parle pas de nos universités et de nos hautes écoles!»

Les compétences de vie – ou soft skills – acquises sont invisibilisées également. «Loin d’être restées inactives, les personnes contraintes à l’exil doivent travailler et mobiliser de nombreuses ressources pour poursuivre leur route et arriver en Suisse. Or, ces expériences et ces compétences acquises figurent rarement au CV», peut-on lire dans la brochure. Entre autres exemples, la capacité d’adaptation, la négociation et la résistance au stress sont des qualités essentielles tout au long du périple migratoire. Lors du vernissage du guide, en novembre dernier à Genève, plusieurs employeurs et employés ont pris la parole. Le restaurateur, Yohann Pellaux, cité par Vivre Ensemble*, a souligné que Atiq Naqibi, son employé, «gardait toujours la tête froide» et «trouvait des solutions»: «Il a une résilience impressionnante et ça nous a beaucoup appris et aidé.» Chef de chantier, Romain Gregoris, travaillant avec un jeune réfugié, Tedros Kidane, témoigne également: «Les gens qui ont un parcours d’exil souvent très difficile et semé d’embûches ont dû faire preuve de beaucoup de motivation et de courage. Ils ont beaucoup de qualités et, quand ils sont sur le terrain, on le ressent dans le travail. C’est impressionnant.»

* Vivre Ensemble 190/décembre 2022.

Pour télécharger la brochure Réfugié.es & emploi. Au-delà des idées reçues, aller sur: asile.ch

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