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Prêt à mourir pour la vie

Portrait de Guillermo Fernandez.
© Thierry Porchet

Terrorisé par l’état de la planète laissé aux enfants, Guillermo Fernandez est parti en croisade pour le climat.

Guillermo Fernandez a fait 39 jours de grève de la faim devant le Palais fédéral. Et a gagné une bataille

«C’est un défi épique. Ce n’est que collectivement que nous nous en sortirons.» Et pourtant, c’est bien seul qu’il s’est assis devant le Palais fédéral le 1er novembre dernier, un panneau autour du cou: «Grève de la faim pour le climat de nos enfants». «Aucune organisation ne soutenait ma démarche. Les deux dernières semaines avant de me lancer, j’étais désespéré. Mais dès la première heure, j’ai retrouvé foi en l’humanité. A 13 exceptions près, je n’ai rencontré que des gens bienveillants porteurs d’une force de changement. J’ai vécu des moments extraordinaires et surréalistes», raconte Guillermo Fernandez, une semaine après «sa victoire».

C’est au 39e jour, le 9 décembre, que le père de famille gruyérien, 20 kilos en moins, a goûté à son premier morceau de banane. «C’était comme de manger pour la première fois de ma vie», s’extasie-t-il. Sa première revendication a été entendue: les parlementaires seront invités à une séance d’information sur le changement climatique le 2 mai prochain donnée par l’Académie suisse des sciences au Palais fédéral. «Je ne voterai plus que pour des femmes. Ce sont surtout elles qui m’ont soutenu», sourit Guillermo Fernandez, qui salue le courage de son épouse aussi. «C’est elle la véritable héroïne. Elle a continué de travailler et s’est occupée seule de nos enfants, tout en ayant une perception aiguë du risque vital que j’encourrais. Mes deux filles et mon fils ont compris que je faisais mon devoir de parent, celui d’être responsable de leur avenir.»

Parcours atypique

Sentimentalement à gauche, anarcho-communiste s’il devait définir sa ligne politique, Guillermo Fernandez n’a pourtant jamais milité dans un parti et n’a pas peur des paradoxes. Fils de parents espagnols immigrés, son parcours est atypique et émaillé de moments étranges. Après une maturité scientifique, un passage par les Lettres avec le rêve de devenir écrivain, il étudie à l’EPFL en parallèle de son job d’agent de sécurité de nuit. Un poste qui lui vaudra de vivre quelques braquages, de suspendre ses études, mais aussi de mettre au point un système informatique de surveillance qui vaudra à l’autodidacte un engagement dans la boîte qu’il garde. Auparavant, à 20 ans seulement, il fait le pèlerinage de Compostelle. «C’est fou ce que la marche est rapide», dit-il en souriant, 27 bougies plus tard. Sur le chemin, il se perd, participe à une fête de village rocambolesque, avant de prendre un chemin de traverse si isolé qu’il ne mangera pas pendant six jours. C’est son premier jeûne forcé. Quelques mois après, le catholique convaincu devient, après avoir lu Nietzsche, «un athée radical très préoccupé de trouver la bonne action à accomplir». La réponse tombera au moment de la naissance de sa fille aînée. «Pour la première fois, j’avais ce sentiment fort et indubitable que je devais tout faire pour qu’elle puisse vivre dans un monde beau», se souvient-il.

En 2012, Guillermo Fernandez met sa carrière entre parenthèses, vend sa boîte de consulting en informatique, pour suivre son épouse promue à un poste aux Pays-Bas, puis en Côte d’Ivoire. A Abidjan, il vit les tornades, les mutineries, et le scandale de la benzine trafiquée vendue par Trafigura. Guillermo Fernandez développe sa conscience politique et écologique, s’occupe de ses enfants, et du système de gestion informatique d’une école américaine. Un travail qu’il continuera d’exercer, mais cette fois pour le canton de Fribourg à son retour en Suisse en 2018.

Prise de conscience

Le 9 août 2021, il tombe sur le rapport du GIEC. «La veille, ma fille cadette venait de fêter ses 13 ans. J’ai réalisé qu’à 23 ans, elle n’aurait plus d’avenir… J’ai senti dans ma chair qu’il fallait agir maintenant. D’où ma croisade.»

Quelques jours après, en réunion zoom, il partage avec ses collègues sa terreur et annonce sa démission. Guillermo Fernandez veut agir, mais comment? «C’était exclu que je brasse de l’air. Très rapidement, j’ai pensé à la grève de la faim.» Il découvre, avec stupeur, le combat des Suffragettes à l’époque nourries de force, et de l’avocate turque, Ebru Timtik, morte après 238 jours sans manger. «On m’a reproché de me mettre en danger vitalement. Mais c’est un privilège de Blanc de ne pas risquer sa vie, souligne-t-il. Des écologistes ont été assassinés pour avoir défendu l’Amazonie contre la déforestation, ou pour avoir milité contre Shell au Nigeria... Ce sont nos frères d’armes. Mon risque à côté était incommensurablement petit.»

Son combat ne fait que commencer, fort des gens qui l’ont rejoint. Il veut se consacrer à temps plein à la cause écologique. «On est dans un moment unique, historique. Dans dix ans, ce sera scellé. Dans vingt ou trente ans, on sera mort. Sur la place Fédérale, certains parlementaires très à droite m’ont confié être déjà en mode survivaliste. Ils ont préparé leur cave, mais ils ne font rien pour sauver le pays.»

Entre autres idées, la création d’un lieu d’exploration des modes de vie de demain: «Une solar punk academy, un espace de savoir-faire en agriculture, en low-tech, et de libération face au lavage de cerveau permanent qui nous distille son message unique: “Consomme!” assène Guillermo Fernandez. Faut être capable de rêver l’avenir, d’ouvrir l’imagination. C’est une guerre existentielle dans laquelle il s’agit d’être superdynamique, car l’ordre en place résiste.» Et l’utopiste pour qui rien ne semble impossible de se prendre à rêver d’une grève générale, «pour contrer le capitalisme». Car tout est lié. «La culpabilisation individuelle écologique est une stratégie de désarmement des mouvements climatiques, comme l’atomisation des forces de travail, avec le new management, tue les syndicats. Or, on n’est pas sorti de la lutte des classes. On ne peut même pas choisir une caisse de pension qui n’investisse pas son argent dans les énergies fossiles. On devrait pourtant avoir le droit de dire: ne détruisez pas l’avenir de mes enfants pendant que je travaille!»