Pendant l’Occupation, les nazis aimaient beaucoup le vin
Dans un nouvel ouvrage, l’auteur Christophe Lucand offre une plongée dans une période sombre de l’histoire, portant son regard sur le pillage du vin français durant la Seconde Guerre mondiale
On savait déjà que les nazis avaient commis d’innombrables crimes et massacres. Ce qu’on savait moins jusqu’ici, c’est qu’à partir de mai 1940, ils ont envahi les vignobles du Bordelais, de Bourgogne, de Champagne et de Cognac, pour s’emparer, avec la complicité de nombreux professionnels français, du «plus précieux des trésors de France», selon les mots de Hermann Göring, numéro 2 du régime hitlérien.
On trouve les détails de cette analyse dans un ouvrage récemment sorti de presse, Le vin des nazis. Comment les caves françaises ont été pillées sous l’Occupation. Christophe Lucand, son auteur, est chargé de cours à Sciences Po Paris et chercheur à la chaire Unesco «Culture et Traditions du vin» de l’Université de Bourgogne. Il a aussi publié Le pinard des poilus (surnom donné aux soldats de la Première Guerre mondiale qui étaient dans les tranchées).
Océan de vin
Dès les premiers jours qui suivent la percée allemande de 1940, «l’envahisseur est assoiffé», explique Christophe Lucand. Il capte tout ce qui lui est livré et la prise d’assaut de la France se transforme en une «ahurissante ruée sur le vin». «En quelques mois, précise l’auteur, la France inonde le IIIe Reich d’un océan de vin puisé dans les stocks d’un demi-siècle de surproduction. Des milliers d’intermédiaires et des centaines d’officines civiles et militaires prélèvent et vendent sans limite. La rapacité infinie des grands dirigeants nazis fait le reste.» La France figure alors comme la première puissance agricole d’Europe, et le vin représente sa première richesse et un butin stratégique. «Rêvée par Berlin, ajoute Christophe Lucand, la défaite de la France a d’abord été mise en bouteille.»
Commerce et beuveries
Cette ruée sur le vin prend différentes formes:
• Avec la complicité de collaborateurs – une partie du vignoble de Château Margaux sera rebaptisée «Clos du Maréchal» – elle donne lieu à un gigantesque commerce qui se chiffre en centaines de millions de francs. Une partie du vin est vendue aux dignitaires nazis qui sont en France, une autre à ceux qui sont restés en Allemagne. Les dirigeants allemands se ruent sur les crus les plus prestigieux, comme le Chambertin, le Pommard et la Romanée-Conti en Bourgogne, ou les Mouton Rothschild et les Pauillac dans le Bordelais. Les vins de bas de gamme sont destinés aux troupes d’occupation.
• A Paris, elle est l’occasion de gigantesques beuveries dans les plus prestigieux bars et restaurants de la capitale, où les dirigeants nazis sont souvent accompagnés de charmantes dames, mais aussi de la «crème de la collaboration artistique», où l’on repère Maurice Chevalier, Tino Rossi, Danielle Darrieux, Yvette Lebon ou Arletty. Mais aussi des dignitaires religieux, comme l’abbé Maillet, fondateur des petits chanteurs à la Croix de Bois. Ces réunions sont pleines de découvertes gastronomiques, comme ces cocktails au foie gras garni de truffes arrosées à l’armagnac!
Monaco déjà
Même s’il ne produit pas de vin, le Rocher de Monaco deviendra vite la plaque tournante internationale de ce commerce vinicole, le «hub wine» de l’Europe nazie, comme l’appelle Christophe Lucand. Mais l’existence de beaucoup de sociétés de négoce des vins se limite à une simple boîte aux lettres, ce qui rappelle des pratiques financières d’aujourd’hui. Il en résulte une perte exorbitante pour le fisc français, que l’Administration de Vichy estime à près d’un milliard de francs pour la période 1942-1943. Autant dire qu’à Monaco – mais aussi ailleurs – l’argent n’avait et n’a toujours pas d’odeur.
Christophe Lucand, Le vin des nazis. Comment les caves françaises ont été pillées sous l’Occupation, Ed. Grasset, 2023.