La Neuchâteloise Orane Burri incarne un cinéma engagé. Son dernier documentaire, "Le prix du gaz – une résistance citoyenne", sort en salle
Ce printemps, le documentaire Le prix du gaz – une résistance citoyenne était au programme du Festival du film vert. Mais à la veille de la première projection, la crise sanitaire suspendait sa diffusion. Pendant le semi-confinement, Orane Burri n’a, quant à elle, pas arrêté. A commencer par la mise au monde de son deuxième enfant. Puis en jonglant entre sa fille de quelques semaines, son fils de 2 ans et un projet collectif international réunissant des réalisatrices et des réalisateurs autour de cette période si spéciale. «Le concept était de filmer pendant dix minutes depuis notre fenêtre et de parler de ce que nous vivions. J’imaginais philosopher, mais j’avoue qu’avec mes deux enfants, mes réflexions se sont révélées très pragmatiques», soupire-t-elle, sans perdre son sourire et en continuant de mener de front de multiples projets.
Tourné dans le Val-de-Travers entre 2013 et 2014, Le prix du gaz sort, enfin, en salle en novembre. Cette mobilisation exemplaire contre un projet de forage gazier dans le Val-de-Travers n’a pourtant rien perdu de son actualité, tant l’histoire est universelle et intemporelle à l’heure notamment de l’implantation de la 5G, de l’initiative sur les multinationales ou encore des débats sur les pesticides. «Ce film montre que tout le monde peut agir à son échelle pour changer le système capitaliste qui s’approprie le bien commun sans scrupule. En plus, il finit bien, ce qui est plutôt rare», souligne Orane Burri, qui tient à «se mettre au service des gens qui se battent contre l’absurdité d’un monde qu’on nous fait croire comme immuable».
Agir
La réalisatrice engagée a fait d’une citation d’Albert Einstein son credo: «Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire.»
Posant un regard sombre sur l’état du monde, elle ne perd pas complètement espoir. «Parfois, quand je regarde mes enfants, je me dis qu’ils vont nous détester de leur laisser la planète dans un tel état. Mais le plus important est peut-être de pouvoir leur montrer qu’on n’a pas rien fait. Même si le permafrost fond, on peut quand même agir pour éviter une catastrophe totale au niveau environnemental et social.»
La tolérance, la solidarité et le vivre ensemble sont des thèmes récurrents dans ses films. Que ce soit dans son court métrage Dublin, réalisé avec des requérants d’asile, ou dans Penaber (exil) sur la situation kurde, la réalisatrice interpelle le spectateur, l’invite à se mettre à la place de l’immigré. Sa démarche est poétique, entre rêve et cauchemar.
«Le cinéma, l’art en général, doit avoir pour but de transformer le spectateur, aussi minime soit le changement», explique celle dont la vie a été chamboulée par Stalker de Tarkovski (1979). Elle n’avait que 14 ans et, en évoquant le chef-d’œuvre russe, elle en a encore, littéralement, la chair de poule: «C’était au-delà de tout ce que j’avais vu. Une rencontre spirituelle qui touche à quelque chose de très profond.» Un tournant pour la jeune fille d’alors qui choisit la voie du 7e art.
Témoigner
Sa première vidéo, à 16 ans, le caméscope familial à la main, pose déjà un regard critique sur le monde: des images d’enfants de son quartier mêlées à des archives de la guerre du Vietnam. En l’an 2000, à 18 ans, elle quitte Neuchâtel pour étudier à Paris à l’Institut international de l’image et du son. «J’apprends mon métier, des étoiles plein les yeux et les deux mains dans le cambouis…» écrit-elle sur son site internet qui dévoile son parcours et ses films avec une rare sincérité et une grande générosité. «Le cinéma demande beaucoup de sacrifices et d’énergie, mais cela en vaut la peine quand on voit l’impact», explique Orane Burri. Pour exemple, elle évoque son film Nettoyeurs de guerre – une plongée dans le monde de l’humanitaire n’échappant pas au business – qui a notamment permis à l’ONG Digger de recevoir une grosse donation. Ou encore Tabou, documentaire sur le suicide de son ami d’adolescence, dont elle a encore des échos de spectateurs touchés dix ans après sa diffusion. Des sujets aussi lourds que son reportage sur les fusils militaires, Armes fatales.
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A chaque fois, Orane Burri fait preuve d’une patience infinie entre l’idée, sa réalisation et sa diffusion, comme si elle était toujours un peu en avance sur son temps. Si les récompenses ne manquent pas et si son quotidien est résolument marqué du sceau de la décroissance, vivre uniquement du cinéma lui est impossible. Depuis une dizaine d’années déjà, elle a pourtant pris le parti d’éviter de réaliser des spots publicitaires. Professeure à l’Eracom et à la HEIG, elle est portée par son envie de partage et ses impératifs éthiques. Sa recherche de sens est aussi large que sa palette d’outils – de la capsule web au long métrage, du reportage à la fiction. Elle conçoit notamment des projets interactifs, baptisés Totemi, sur l’histoire du canton de Neuchâtel. «C’est aussi en connaissant notre passé que l’on peut éviter de répéter les mêmes erreurs», explique-t-elle.
La réalisatrice a créé également une structure de production, Les Regardiens, pour soutenir des projets engagés, gardiens de valeurs humaines, pour «se rappeler que le but n’est pas uniquement de distraire, mais d’apporter sa petite pierre au défi titanesque de notre génération: redresser la barre d’une société qui fonce droit dans le mur en diffusant des valeurs autres que celles du capitalisme actuel.»
Le prix du gaz – une résistance citoyenne, dès le 18 novembre, dans les salles de cinéma de Suisse romande.
Avant-premières, en présence d’Orane Burri et d'invités:
18.10, 14h, Cinéma Arcades, Neuchâtel
10.11, 20h, Cinéma Grain d'Sel, Bex
15.11, 11h, Cinéma Royal, Sainte-Croix
16.11, 20h15, Cinéma Bio, Carouge
17.11, 19h30, Cinemont, Delémont
18.11, 18h, Cinéma Apollo, Neuchâtel
19.11, 20h, Zinéma, Lausanne
20.11, 18h30, Cinéma Rex, Vevey
21.11, 20h, Cinéma Oron
22.11, 18h30, Cinéma Plaza, Monthey
Plus d’informations sur: oraneburri.com