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Offrir une seconde chance aux ménages surendettés

Tiroir avec des pièces de monnaie.
© Thierry Porchet/Archives

Etre surendetté et vivre avec le minimum vital, c'est être constamment condamné à racler les fonds de tiroir.

Les quatre Centre sociaux protestants de Suisse romande défendent un projet de loi du Conseil fédéral, qui vise à casser la spirale infernale des dettes sans fin.

La question du surendettement est un vieux cheval de bataille des institutions sociales de Suisse. Comment casser cette spirale infernale qui fait que les dettes s’accumulent et que les débiteurs n’arrivent plus à sortir la tête de l’eau? Le Conseil fédéral a décidé de s’attaquer au problème et présenté un projet de loi, en discussion au Parlement, dont le but est de donner une seconde chance aux ménages croulant sous les avis de poursuites et les défauts de paiement.

Ce 2 septembre, le Centre Social Protestant, représenté par ses quatre antennes romandes (Genève, Vaud, Neuchâtel et Berne-Jura), a donné à Genève une conférence de presse pour défendre ce projet, en gestation depuis sept ans. «Assouplir la législation en vigueur, extrêmement sévère, est une revendication de longue date du CSP», lance sa présidente, Bastienne Joerchel, également directrice du CSP Vaud. L’organisation caritative, qui soutient de nombreuses personnes surendettées, a fait partie du panel d’experts consultés par Berne pour l’élaboration du projet de loi.

Ardoise effacée après trois ans
Concrètement, celui-ci prévoit une procédure d’assainissement des dettes qui s’étale sur trois ans. Pendant cette durée, la personne concernée se fait saisir tous ses biens et revenus dépassant le minimum vital. Au bout de trois ans, la somme récoltée est répartie entre les différents créanciers, à l’exception des impôts, qui sont payés au fur et à mesure pour éviter que de nouvelles dettes ne s’accumulent. Puis, par décision de justice, le débiteur voit son ardoise effacée. Il est ainsi définitivement libéré du restant de ses dettes. 

La participation à cette procédure est volontaire, mais il faut remplir certains critères: être lourdement endetté, avoir un budget équilibré et ne pas avoir été condamné pour des délits ayant trait aux poursuites et faillites. De plus, il faut être transparent sur ses revenus et biens, ne pas refuser une possibilité de travailler, et évidemment, ne pas contracter de nouvelles dettes, faute de quoi on peut être exclu du programme. Selon les analyses de la Confédération, entre 2000 et 10 000 personnes par an pourraient bénéficier de cette procédure en Suisse.

Le CSP souligne qu’il existe déjà de tels mécanismes d’assainissement des dettes dans la plupart des pays européens, et considère le système suisse comme une condamnation à perpétuité. «La législation actuelle est entièrement conçue en fonction des intérêts des créanciers, mais ne se soucie pas du sort des débiteurs», déplore Rémy Kammermann, juriste au CSP Genève et membre du comité de l‘association faîtière «Dettes Conseils Suisse». «Le système des poursuites et faillites fonctionne pour les retards de paiement ou les petites dettes, mais pas pour les personnes qui doivent des montants importants dépassant largement leur capacité de remboursement. Dès que leur situation s’améliore un peu, les créanciers reviennent à la charge. Si vous êtes surendetté, vous le serez encore dans vingt ans, et probablement que vous mourrez avec vos dettes.» Selon les estimations de «Dettes Conseils Suisse», seuls 10% des ménages surendettés parviennent chaque année à se sortir de cette situation.

Pas une baguette magique
Rémy Kammermann prévient toutefois que ce projet de loi n’est pas une baguette magique: «C’est un long chemin, mais cela offre une vraie chance de prendre un nouveau départ.» Alain Bolle, directeur du CSP Genève, confirme: «Pendant ces trois ans, vous êtes placé sous surveillance et vous devez gérer un budget extrêmement serré. En général, vivre avec le minimum vital implique de renoncer aux loisirs. Tout cela exige un suivi psycho-social essentiel.» 

Selon le CSP, il y a un large consensus autour de ce projet de loi, et tous les cantons l’ont approuvé en consultation. «Tout le monde comprend la nécessité d’agir, bien que certains aimeraient fixer des conditions plus strictes, note Rémy Kammermann. Mais si on les durcit trop, cela ne fonctionnera pas.» Pour lui, même si les milieux économiques redoutent l’impact financier du projet, personne n’a intérêt à maintenir des ménages dans le surendettement: «Ces personnes finissent par se retrouver à la charge de l’Etat et avoir des problèmes de santé, ce qui génère des coûts pour la collectivité.» En outre, plus les années passent, plus les dettes s’accumulent et les perspectives de remboursement s’amenuisent, ce qui n’est pas dans l’intérêt des créanciers. 

Le CSP appelle donc le Parlement à adopter le projet de loi tel quel. Il a déjà été accepté en commission et le Conseil National devrait en débattre fin septembre.

360 millions de dettes

En 2024, les 43 organisations membres de la faitière «Dettes Conseils Suisse» ont recensé 6242 nouveaux dossiers. En 2023, les personnes qu'elles suivent avaient au total quelque 360 millions de francs de dettes. Le surendettement touche davantage les ménages à bas revenus et les personnes dont le niveau de formation ne dépasse pas le degré secondaire. Près des trois quarts d'entre elles ont un travail. Les principales causes du surendettement (qui peuvent se cumuler) sont les problèmes de santé (34%), la séparation ou le divorce (31%), le manque de compétences administratives (29%) et la perte d'emploi (28%). Dans 81% des cas, les débiteurs ont des dettes d'impôts, 61% ont des dettes d'assurance maladie et 24% ont des dettes de crédits en espèces et cartes de crédit. Là aussi, cela peut se cumuler.

«C’est un enfer quotidien»

Le surendettement, Bekim Rexhepi, 43 ans, est bien malgré lui tombé dedans quand il était petit. Sa famille est arrivée en Suisse quand il avait 9 ans. Réfugiés, ses parents ont été pris en charge par la collectivité pendant de nombreuses années, avant d’obtenir l’asile. Du jour au lendemain, ils ont alors dû se dépatouiller tout seuls dans la complexité des démarches administratives et, peu au fait du système suisse, maîtrisant mal le français, ils ont accumulé les dettes. En particulier celles liées à l’assurance-maladie. A sa majorité, Bekim Rexhepi a hérité de sa part de ces dettes. Il ne l’a appris que quelques années plus quand, pour chercher un appartement, il a demandé une attestation de l’Office des poursuites. Il s’est ainsi retrouvé avec une ardoise de 176 000 francs qui, grâce au suivi du Centre social protestant, est depuis descendue à 130 000 fr. Sans CFC ni aucune formation hormis l’école obligatoire, marié et père de deux enfants, il travaille à plein temps, mais ses revenus excédant le minimum vital sont saisis depuis 2016. «C’est dur d’expliquer aux enfants pourquoi on ne peut pas partir en vacances ni leur offrir certaines choses, confie-t-il. C’est un enfer quotidien, chaque matin on se demande quel commandement de payer on va trouver dans la boîte à lettres.» Et puis, il y a les préjugés frappant les personnes endettées. «Depuis que je suis apparu dans un reportage à la télévision, des connaissances nous ont tourné le dos. On est plus bas que terre.»

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