Responsable du Réseau de centres de conseil pour les victimes du racisme, Nora Riss s’exprime sur l’affaire qui secoue la police lausannoise et sur les discriminations au sein de la société.
Coup de tonnerre à la mi-août. La Ville de Lausanne a annoncé avoir pris connaissance de messages et de photos à caractère raciste, antisémite, sexiste ou discriminatoire échangés sur deux groupes WhatsApp privés réunissant une cinquantaine de membres de la police lausannoise. Cette affaire a entraîné la suspension de huit agents. Le matériel problématique a été découvert à la suite de l’enquête ouverte sur le cas d’un ancien policier municipal posant, pouce levé, à côté d’un graffiti en hommage à M. Mike Ben Peter, un Nigérian décédé dans le cadre d’une interpellation pour trafic de drogue. La Municipalité, qui s’est dite profondément «heurtée et scandalisée» par les propos tenus sur le réseau social, a évoqué un racisme systémique. Et a décidé d’un plan d’action impliquant une réforme en profondeur de la culture de travail au sein de la police lausannoise. Responsable du Réseau de centres de conseil pour les victimes du racisme de humanrights.ch, Nora Riss réagit à la situation. Précisons que l’ONG pour laquelle elle travaille s’est penchée sur la mort de plusieurs hommes afrodescendants à la suite d’une intervention policière. Elle s’est alors basée sur les recherches de collectifs créés dans ce contexte et de l’agence Border Forensics.
Que vous inspirent les révélations relatives aux propos racistes et discriminatoires qui circulaient au sein d’une frange de la police?
C’est particulièrement choquant et totalement inacceptable. Mais nous avions connaissance depuis plusieurs années de problèmes au sein des forces de l’ordre du canton. La police vaudoise enregistre le nombre de décès à la suite d’arrestations le plus élevé de Suisse. Si nous ne pouvons établir de liens avérés entre ces morts et des attitudes racistes, nous sommes en droit de nous interroger. Et nous réclamons des enquêtes indépendantes. Lors de violences policières, il est nécessaire qu’une instruction impartiale ait lieu, en faisant par exemple appel à un procureur d’un autre canton. On peut en effet se demander si le Ministère public est habilité à enquêter de manière indépendante sur les policiers de son propre canton – comme cela a été le cas en l’espèce – et alors porter l’accusation. En effet, ces deux institutions travaillent étroitement ensemble et sont dépendantes l’une de l’autre. Une chose est sûre: il faudra opérer un changement de culture radical au sein de la police lausannoise.
Comment expliquer ces dérives?
Il y a assurément un problème de formation, mais surtout de culture et d’omerta. On n’a pas voulu ou osé dénoncer ces dérives par esprit corporatif. On se trouve confronté à un racisme structurel où le lien entre criminalité, dangerosité et personnes noires est naturellement établi. Un schéma dont il faut absolument sortir.
Que faudrait-il prendre comme mesures?
Il y en a plusieurs. Il est impératif de mener des enquêtes indépendantes et en profondeur et de suspendre les policiers au comportement problématique. Le port de bodycams (minicaméras) déjà testé et favorisant, selon un rapport d’évaluation, une réduction de la tension, figure aussi au rang des bonnes idées. Il faudrait également ouvrir des bureaux indépendants où les cas discriminatoires pourraient être signalés et les victimes aidées par des avocats. Parmi les autres pistes envisageables, et comme suggéré au Parlement vaudois, la délivrance d’un reçu aux personnes contrôlées avec mention de la raison de la vérification est souhaitable.
Les messages s’échangeaient sur des réseaux privés... Où s’arrête la liberté d’expression?
La police agit au nom de l’Etat. Dans ce sens, elle n’a rien de privé. Elle se doit d’être exemplaire et la tolérance zéro s’impose comme la règle. Comment les personnes racisées pourraient-elles lui faire confiance si elles ont le sentiment d’un traitement inégalitaire?
Quant aux blagues douteuses partagées dans des cercles privés, si elles ne sont pas interdites dans ce contexte, il est important de se rendre compte de leur nature à blesser l’autre en profondeur en raison de leur récurrence au quotidien.
Cette police n’est-elle pas au final représentative de la société?
J’ose espérer que non. Nous ne disposons pas de monitoring sur le profilage racial et les violences policières. Difficile de connaître son ampleur. Mais tous les jours des hommes de couleur sont interpellés et contrôlés dans le train, dans la rue...
La Suisse se montre-t-elle suffisamment proactive sur le front des discriminations et de la prévention?
Clairement non. Les moyens manquent. Et il faudrait une loi générale protégeant contre toutes formes de discriminations et couvrant tous les champs, sur le lieu de travail, dans l’attribution de logements, etc. Les médias et le politique jouent aussi un rôle important dans la banalisation du racisme, notamment avec d’une part, des articles en surnombre sur les criminels étrangers et d’autre part, une UDC qui fait constamment l’amalgame entre étrangers et criminalité. Une manière simpliste pour gagner des voix qui, hélas, fonctionne toujours.
En matière de prévention, il faudrait déjà agir à l’école avec l’intégration de cours obligatoires sur le racisme. L’éducation peut agir comme moteur de changement social. D’autant plus qu’on parle volontiers du racisme des autres, des nazis, de l’extrême droite... alors que nous sommes tous socialisés dans une structure raciste.
Doit-on en déduire que nous perpétuons tous des attitudes discriminatoires?
Oui. Même les personnes qui se disent non racistes. Une réaction le plus souvent liée à la peur. Cela m'arrive aussi parfois. Nous devons désapprendre certains comportements. C’est un travail quotidien que chacun doit faire pour casser les préjugés et sortir de schémas de pensée.