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«Notre pays est complice des exactions de Frontex»

Manifestation à Berne avec une pancarte "Nous avons de la place" en allemand.
© Olivier Vogelsang

«Nous avons de la place!» En octobre 2020, face à la situation dramatique des réfugiés du camp de Moria en Grèce, qui avait été la proie des flammes, des centaines de manifestants s’étaient adressés au Conseil fédéral pour qu’il ouvre ses portes à ces personnes en détresse.

La votation sur l’agence européenne pose une question bien plus large: quelle politique d’asile voulons-nous? Esquisse de réponse

Ce dimanche 15 mai, les citoyennes et les citoyens sont invités à se prononcer sur l’augmentation du budget alloué et du personnel mis à la disposition, par la Suisse, de l’agence Frontex, présentée sous l’appellation barbare de «reprise du règlement de l’UE relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes». Un «oui» dans les urnes signifierait une nouvelle augmentation du budget, qui passerait d’environ 24 millions en 2021 à quelque 61 millions de francs en 2027, selon le Conseil fédéral. Le comité référendaire – constitué d’organisations de soutien aux migrants, du Parti socialiste, des Verts, de partis de gauche, d’Eglises, de mouvements écologistes et féministes – dénonce le manque de transparence et les violations des droits fondamentaux aux frontières extérieures de l’Europe et appelle donc à voter «non». Un référendum qui, si les sondages l’annoncent perdant, a au moins le mérite de donner un coup de projecteur sur Frontex. «Cette votation montre que la Suisse verse des millions à un organisme qui ne respecte pas le droit d’asile. Notre pays est ainsi complice des exactions dénoncées depuis longtemps», explique Graziella de Coulon, membre du collectif Droit de rester.

«En bloquant les fonds à Frontex et en refusant d’avaliser son budget, le Parlement de l’Union européenne donne raison aux référendaires. Une garantie parmi d’autres que celle-ci ne peut pas décider d’une sortie de Schengen de la Suisse», souligne la conseillère nationale socialiste Ada Marra. Avant de questionner: «Comment la droite et les milieux économiques peuvent-ils soutenir une entreprise inefficace, où le matraquage de personnes et les malversations sont prouvés?»

Droit d’asile inique

Au-delà des violations des droits humains de Frontex, l’accueil des réfugiés ukrainiens est également l’occasion de montrer les failles d’un droit d’asile inéquitable, alors que des milliers de personnes continuent de mourir sur les routes terrestres et maritimes de l’exil et prennent des voies toujours plus risquées afin d’éviter d’être refoulées. «Je suis très mal à l’aise vis-à-vis des requérants d’asile ne venant pas d’Ukraine et qui nous disent ne pas comprendre cette différence de traitement», ajoute Graziella de Coulon, saluant bien sûr l’élan de solidarité en faveur des Ukrainiens. Même écho du côté d’Ada Marra, qui évoque des pistes: «Cette crise a le mérite de montrer ce qu’il est possible de faire. A la lumière du permis S par exemple, il est indispensable politiquement de revoir le permis F, cette admission provisoire facteur de précarisation. Aujourd’hui, le droit d’asile n’est vu que sous l’angle sécuritaire et n’est constitué que d’exceptions. Il n’y a plus de politique globale. Les droits fondamentaux, la droite s’en fout!» Pour la socialiste, la précarisation des migrants les plus pauvres dépasse le domaine de l’asile: «Les sans-papiers ne sont pas des immigrés illégaux, mais des travailleurs sans droit. C’est une hypocrisie sans nom. Un travail, un permis! C’est aussi simple que ça.»

Témoignages

«La Suisse peut faire beaucoup mieux»

Il y a une quinzaine d’années, Gouled quittait sa terre natale, la Somalie, pays en proie à une guerre sans fin. Comme tant d’autres de ses compatriotes, il a traversé le désert, la Libye et la Méditerranée jusqu’à Lampedusa, avant d’arriver en Suisse. Malgré la dureté et les risques mortels de cette route migratoire, il n’hésiterait pas à la refaire. «Quand on est en proie à la guerre, aux insécurités, aux camps de réfugiés pleins dans les pays voisins, parfois bombardés, sans aucune perspective d’avenir, on n’a pas d’autre choix que de partir.» Aujourd’hui interprète communautaire, le polyglotte connaît les épopées tragiques de nombreuses autres personnes. «Tous essaient de survivre, de sauver leur vie, leur famille. C’est une très petite minorité qui arrive jusqu’ici. La plupart reste sur place ou dans les pays voisins. Empêcher les gens de venir en Europe n’est pas une solution. On peut investir dans les pays d’origine, mais payer des policiers pour bloquer les frontières, cela n’a pas de sens. Toute personne a le droit d’être protégée.» Et d’évoquer celles qui meurent à la suite de refoulements illégaux aux frontières européennes, notamment entre la Grèce et la Turquie. «Des migrants racontent comment ils ont été maltraités par des policiers, même dans des pays qui ont eux-mêmes subis la guerre. Comment peuvent-ils empêcher d’autres gens de trouver refuge? En général, en tant que migrant on ne sait pas si c’est Frontex, des gardes-frontières, la police…» Il rappelle aussi à quel point le parcours d’un requérant d’asile est semé d’embûches même ici en Suisse. «On lui rend la vie très très difficile, comme si le système était contre lui. Par exemple, en l’attribuant au canton de Schaffhouse, alors qu’il a de la famille à Genève qui pourrait le soutenir et l’aider à trouver un travail. Ce serait un atout pour la personne, et pour la société. La Suisse peut faire beaucoup mieux, et l’accueil des Ukrainiens le prouve. C’est possible d’avoir une politique migratoire plus humaine!»


«J’ai pensé que c’était la fin»

«Notre bateau a commencé à couler. J’ai pensé que c’était la fin. Et, à ce moment, j’ai vu un navire. C’était SOS Méditerranée. Il nous a sauvés, mais certaines personnes sont mortes noyées.» Samuel* témoigne de cette traversée mortelle, de l’attente des secours durant 14 heures des 500 personnes piégées après que le moteur a pris feu. «On a appelé Alarmphone. On a eu de la chance. Il y a sept ans, c’était plus facile de recevoir de l’aide qu’aujourd’hui. Je connais des situations où personne n’a pu être sauvé. Cela ne devrait pas se produire», s’indigne Samuel qui a, par la suite, recueilli à son tour des appels de détresse. «On aide comme on peut, en transférant les coordonnées de leur position aux gardes-côtes. Chaque situation est compliquée.» L’Erythréen précise que cette traversée reste inéluctable pour celles et ceux qui la tentent. «Je le referais, malgré ce que j’ai vécu. Personne ne prend ce risque s’il n’est pas en danger de mort dans son pays. Quant à la Libye, je connais, c’est l’enfer.» Après une année de périple, Samuel a débarqué en Italie, puis en Suisse. Là, le combat a continué pour être reconnu comme réfugié. Pendant deux ans, son permis N l’a empêché de travailler et d’avoir accès à des cours de français. Il est alors logé dans un bunker, dont il garde encore des dommages physiques. «J’ai perdu deux ans de ma vie et une partie de ma vue à cause des néons allumés toute la nuit au-dessus de mon lit». Puis, Samuel a obtenu un permis B, ce qui lui a permis de faire un apprentissage. Aujourd’hui, il travaille et continue sa formation. «Beaucoup de mes compatriotes ont, quant à eux, un permis F. Ce sont comme des poulets avec une corde à la patte qui les retient. Ils ne peuvent pas voyager dans les pays voisins, même par exemple pour aller au mariage d’un cousin en France ou en Allemagne. Et c’est compliqué de trouver un employeur prêt à vous engager quand l’admission est provisoire.»

* Prénom d’emprunt.

Une victoire d’étape pour les sans-papiers

«C'est un pas important pour les jeunes sans-papiers.» La Plateforme sans-papiers Suisse se réjouit que la Commission des institutions politiques du Conseil national se soit prononcée en faveur d'un meilleur accès à la formation professionnelle pour les jeunes sans statut légal. Depuis 2014, seuls les cas de rigueur peuvent espérer obtenir un apprentissage ou accéder à une formation post-obligatoire. «L'expérience montre toutefois que la réglementation actuelle est trop restrictive. Selon le rapport précité, des associations et des organisations importantes (notamment: l’UVS, l’USAM, la CDAS, l’AOST, la CDEP et la CSIAS) se sont prononcées en faveur d'un assouplissement de cette disposition. Il s'agit en particulier de réduire la durée de la scolarisation exigée pour l'autorisation de séjour et de permettre des demandes anonymes», explique la Plateforme sans-papiers dans un communiqué.

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