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On n’enferme pas l’humanité

Treize ans et deux mois de prison ferme, c’est la peine infligée à Domenico Lucano. Elu en 2004 maire de Riace, un village de Calabre plombé par la désertification rurale, ce professeur de chimie est connu pour avoir accueilli dans sa localité des centaines de réfugiés durant des années. Couplée à la rénovation des logements vacants, à la relance de l’artisanat traditionnel et à la réouverture de petits commerces, cette politique d’accueil a permis de redynamiser la bourgade endormie. Surtout, Domenico «Mimmo» Lucano a montré qu’une autre politique migratoire est possible et Riace est devenue un exemple dans l’Europe entière. En 2015, l’édile était venu à Berne recevoir le Prix de la Fondation pour la liberté et les droits humains: «Nous faisons face aux éternels problèmes du vivre ensemble, mais pas davantage que n’importe quel autre village. Ces personnes qui n’avaient rien à perdre se mêlent très bien aux autres, heureuses d’avoir fui la guerre et la misère», avait-il alors expliqué au Courrier. Cette réussite, le sinistre Matteo Salvini devait la gâcher, il lui fallait détruire ce symbole. En 2018, le dirigeant de la Lega, alors ministre de l’Intérieur, fera arrêter Mimmo Lucano.

Une énorme enquête est alors diligentée contre le maire destitué et éloigné de son village. Finalement, l’accusation ne retiendra que le soutien à l’immigration clandestine, l’attribution sans appel d’offres de marchés publics à des coopératives liées aux migrants, ainsi que l’organisation de mariages de convenance avec des femmes déboutées du droit d’asile. Même si l’enrichissement personnel a été écarté, la cour de justice a réduit la politique de l’édile à un système clientéliste visant à asseoir son emprise sur la bourgade. «J’ai passé ma vie à défendre des idéaux, à me battre contre les mafias, je me suis toujours mis du côté des déshérités, des réfugiés», a contesté l’intéressé à l’annonce du verdict le 30 septembre. En plus des treize ans de prison, le prévenu est condamné à payer 500000 euros au titre des subventions que Riace a reçu de l’UE et de l’Etat italien. Plus lourde que les sept ans et onze mois de prison requis par le procureur, la sentence paraît relever de l’acharnement judiciaire. Elle est à mettre en regard avec la sanction prononcée au printemps dernier pour l’attaque raciste perpétrée en 2018 à Macerata. Auteur de tirs ayant blessé six immigrants africains dont une femme, le néonazi Luca Traini s’en sort avec douze ans de réclusion.

Le seul crime de Domenico Lucano est d’avoir offert à des hommes et à des femmes cherchant à échapper à la pauvreté et aux conflits des conditions de vie et de travail décentes, d’avoir défendu l’humanité alors que, presque chaque jour, des embarcations de fortune sombrent dans la Méditerranée. Ce n’est pas seulement un individu qui est condamné par ce tribunal, ce sont aussi la solidarité et la fraternité, l’empathie et le dévouement envers autrui. Après le verdict, les forces progressistes se sont mobilisées dans la Botte et au-delà. Un rassemblement de solidarité s’est ainsi tenu la semaine dernière devant le consulat italien de Genève, les manifestants déployant une banderole proclamant: «L'Umanità non si arresta!» On n’enferme pas l’humanité.