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L’école, ce miroir de la société

Portrait de Daniel Curnier.
© Olivier Vogelsang

Daniel Curnier, docteur en sciences de l’environnement de l’Unil, questionne le rôle de l’école publique en ces temps de crise écologique.

A l’heure de la rentrée et quelques jours avant les manifestations des étudiants de la Grève du climat ce vendredi, rencontre avec Daniel Curnier, spécialiste des questions de transition écologique à l’école

Plusieurs années avant l’émergence du mouvement de la Grève du climat, Daniel Curnier s’est plongé dans la question écologique au sein de l’institution scolaire. Aujourd’hui docteur en sciences de l’environnement de l’Unil, il soutenait en 2017 sa thèse intitulée «Quel rôle pour l’école dans la transition écologique?». Engagé récemment pour appuyer la nouvelle cellule durabilité du Département de la formation, de la jeunesse et de la culture (DFJC) du canton de Vaud, il revient sur certains éléments développés dans sa recherche, notamment les missions de l’école et les liens de cette dernière avec le monde professionnel.


Dans votre thèse, vous soulignez que l’école, historiquement, a toujours répondu aux besoins de l’économie et de la politique…

A l’origine, l’école est née du besoin de discipliner les enfants des familles ouvrières. C’est vers 1850, pour faire une moyenne européenne, qu’une majorité d’enfants commence à être éduquée au sein de l’institution. Avec l’exode rural et le travail en usine, les enfants ne sont plus à proximité des parents. L’école a pour but de faire face à la délinquance urbaine et à l’insécurité liées à ces jeunes, mais aussi à les discipliner en vue de leur intégration dans les fabriques. A la fin du XIXe siècle, avec la montée des tensions entre les grandes nations européennes, l’histoire et la géographie entrent dans le cursus dans le but de créer un attachement au territoire national et à une identité commune. Cette homogénéisation de la population était nécessaire pour que des jeunes soient prêts à aller se faire charcuter dans les tranchées pour défendre leur Patrie. A la suite de chacune des deux Guerres mondiales, les branches techniques entrent dans l’enseignement pour répondre à la demande des usines militaires qui se convertissent dans la production civile et qui ont besoin de personnel qualifié.

Historiquement, l’école apprend donc à obéir. Elle est aussi un reflet de la société. Des lois aux plans d’études, des textes de la Constitution à la grille horaire, il y a ce qui est prescrit au niveau légal, ce qui est réel – soit ce qui est fait en classe avec une certaine marge d’adaptation selon les enseignants –, et toute une partie cachée, inconsciente, liée aux valeurs, à l’acculturation… Par exemple, du point de vue du genre, l’idée que les garçons sont forts en maths et les filles en langues a longtemps été transmise par l’enseignant sans qu’il s’en rende compte, parfois même à l’encontre de ses propres valeurs.

Pourquoi dites-vous que l’école publique a peu évolué?

Les structures sont les mêmes. Un établissement, des élèves en rang, un professeur devant, un cours, une sonnerie... Hormis quelques classes pilotes en Finlande, l’école publique ne bouge pas. Ce sont dans des écoles privées alternatives (Steiner, Montessori, etc.) ou dans certaines écoles internationales hypercapitalistes que d’autres modèles se développent. Il manque une impulsion, du courage politique et des moyens pour changer l’école publique. L’inertie du système est énorme. Une note, ce n’est pas obligatoirement le résultat de la correction de réponses vraies ou fausses. Pourtant, les ECR (épreuves cantonales de référence, ndlr) ou le système PISA (tests internationaux, ndlr) présupposent des réponses prédéterminées. Sans forcément annuler les évaluations, on peut noter un travail de groupe, un projet, un engagement… Dans plusieurs pays d’Europe du Nord, les élèves ne redoublent pas, mais ont droit à des appuis. L’intelligence logico-mathématique et verbo-linguistique – soit, pour faire simple, la lecture, l’écriture et le calcul – représente les deux tiers du temps d’apprentissage. Or, il y a d’autres formes d’intelligence.

Comment transformer l’école, au niveau des stéréotypes de genre, des discriminations ou encore de la crise écologique?

On ne peut pas faire évoluer une pratique en changeant un seul élément du système. Si on modifie la formation des professeurs, cette mesure doit s’accompagner de formations continues pour les enseignants déjà en place, de modifications dans les plans d’études, d’injonctions de la part du Département, de l’instauration de journées thématiques… Comme déjà dit, l’école est un reflet de la société. Elle ne peut pas à elle seule changer les mentalités. C’est un mythe que de penser qu’on va former les générations futures et que tout ira mieux. C’est aussi aux générations présentes de changer. L’institution réagit aux «nouvelles demandes sociales». Les pressions sont complexes et jamais uniformes, il y a toujours des résistances aussi. On veut faire croire que l’école est neutre religieusement et politiquement. C’est faux. Par exemple, l’arrivée du numérique dans l’école résulte de pressions extérieures. La formation à ces outils est un projet de société. L’introduction de l’anglais – et non pas du suisse-allemand, du chinois ou du brésilien – plus tôt dans le cursus va dans le sens d’une internationalisation de l’économie…

La fermeture des établissements due au Covid-19 a-t-elle renforcé les inégalités?

Le nombre et l’intensité des décrochages sont encore difficiles à estimer. Mais, dans tous les cas, l’école, en règle générale, n’atténue pas les inégalités. Et le Covid-19 aurait, semble-t-il, encore accentué cette tendance. Le changement de système dans le canton de Vaud, qui est passé de trois filières à deux, accentue encore la domination d’une élite, avec d’un côté les bons et de l’autre les mauvais. En revanche, avec une seule filière, de nombreuses études montrent que le niveau moyen est similaire, mais avec moins de disparités entre les élèves.

Quelle est votre école idéale?

Une école qui forme de futurs citoyens émancipés, très bien informés sur les enjeux écologiques et sociaux globaux, ainsi que leurs répercussions; et qui ont développé des modes de penser critiques, complexes et éthiques. Une école où les jeunes soient outillés pour agir sur le monde et les structures sociales et politiques. L’interdisciplinarité et l’enseignement hors les murs devraient être développés, mais pour cela il faut des moyens, notamment pour accompagner les enseignants dans ces réformes.

L’école publique forme pourtant aussi des esprits critiques. N’en êtes-vous pas la preuve, tout comme les jeunes qui manifestent pour le climat depuis près de deux ans dans la rue?

En effet, cet esprit critique peut être développé grâce à certains enseignants, mais cela se fait surtout dans les filières élitistes de l’école obligatoire et postobligatoire, puis à l’université. Plus largement, l’école devrait enseigner le savoir des questions plutôt que celui des réponses. Autrement dit, l’important est d’enseigner aux élèves à se poser des questions et à se forger une opinion construite.

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