Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

Le séisme turc, ses représentations bibliques, ses coupables et l’UDC

Séisme dans la région turco-syrienne. Plus de 33000 morts comptés ce dernier dimanche et probablement plus du double en réalité, selon le chef de l'agence humanitaire de l'ONU, et cette image parmi les autres en première page d’un journal: sur la pente d’un monceau de gravats et de ruines, trois civils en extraient un survivant des décombres et deux autres tendent leurs bras vers eux.

On y découvre d’abord le jeu des corps: le miraculé se donne à voir de face en position semi-couchée, les trois hommes qui le portent sont en triangle autour de lui, et les deux autres qui sont extérieurs à cette action se tiennent en dessous.

Puis on aperçoit le regard des protagonistes. Celui du miraculé se concentre sur sa jambe à moitié masquée par le corps d’un sauveteur, celui de son sauveteur qui forme le sommet du triangle file en oblique vers le bas, et le deuxième de ses compagnons tourne son visage vers le troisième qui surveille l’état du blessé. Il se produit donc, dans le cadre de cette image, un ballet immobile prodigieux constitué de silhouettes et de coups d’œil en diagonales croisées.

Où sommes-nous? Sur la première page d’un journal, je l’ai dit. Mais aussi dans tout un chapitre de l’art pictural italien compris entre les XIVe et XVIe siècles, quand Fra Angelico, Le Tintoret ou Léonard de Vinci façonnent d’innombrables scènes bibliques en fonction de protocoles formels quasiment normalisés: un corps central de supplicié semi-couché, car il n’est pas loin de trépasser, des bras qui se tendent vers lui, avec des regards qui le fixent ou s’enfuient vers l’au-delà de la toile où se tient la providence divine heureuse ou fatale.

Ainsi se perpétuent, au cours des âges séculaires ou millénaires, les mêmes représentations visuelles et narratives de la souffrance que nos communautés humaines subissent ou s’infligent elles-mêmes. Elles ne changent pas, et nous ne changeons pas davantage que les pouvoirs politique et militaire ou le pouvoir céleste. Et souvent ceux-là font alliance coupable entre eux.

En Turquie, faut-il invectiver le mouvement qui a fait bouger la plaque tectonique d’Arabie vers le nord grâce à la faille dite d’Anatolie de l’Est, vingt-quatre ans après celui survenu grâce à la faille dite d’Anatolie du Nord qui avait provoqué la mort de 17000 personnes? Ou faut-il invectiver le régime et la personne de Recep Tayyip Erdoğan, nommé Premier ministre il y a vingt ans puis président de la République? Je cite Le Temps du 10 février dernier qui cite lui-même la revue de presse du site eurotopics.net:

«Il est arrivé au pouvoir il y a 20 ans. Et depuis lors son gouvernement n’a pas réussi à préparer le pays aux séismes d’une pareille ampleur. Après celui de 1999, une “taxe antisismique” avait été introduite pour que les bâtiments publics nouvellement construits puissent résister aux tremblements de terre dans les zones à risque. Mais […] de grandes entreprises, proches de l’appareil d’Etat et du parti au pouvoir, ont été chargées de construire ces bâtiments sans que les règles antisismiques ne soient respectées.»

Je pensais aux effets que cette double couche des fatalités accablant les plus démunis à la surface de notre planète – je veux dire la couche des catastrophes naturelles en voie d’aggravation massive pour cause de réchauffement climatique et la couche des malversations commises par les régimes autocratiques – quand je retrouvai dans mes archives récentes une information en provenance de notre UDC nationale, triste lobby mental qui n’en est plus à une puanteur près.

Il s’agirait en effet, pour ses membres évoquant la «modification irréversible de la structure de la population» comme leurs confrères en fantasmes au sein de l’Hexagone qui bavent de colère à la perspective du «Grand remplacement», de «supprimer purement et simplement le droit de venir déposer une demande d’asile en Suisse». L’UDC préférant créer des «centres d’accueil et de protection» suisses, mais à l’étranger, où les requérants iraient déposer leur demande pour «couper l’herbe sous les pieds des passeurs». On lisait toutes ces joliesses sur le site de 20 minutes en date du 31 janvier dernier.

Et je songeais que ces plus démunis à la surface de la planète sont désormais accablés non plus seulement par une double couche de fatalités mais par une triple, dans la mesure où s’ajoute, à celles produites par les catastrophes naturelles et par les malversations commises dans le cadre des Etats autocratiques, celle produite par leurs faux frères citoyens de base. Non plus seulement par celles qui proviennent des en-bas telluriques et des en-hauts étatiques, mais de la Cité, c'est-à-dire à l’horizontale. Le propre de l’homme est bien sale, hélas, pour ne pas dire salopard.