Le Gouvernement valaisan demande pardon pour la tragédie de Mattmark
Les lieux du drame de Mattmark, avec l'effondrement sur le chantier du glacier de l'Allalin.
Lors de la cérémonie de commémoration de la catastrophe de 1965, le président du Conseil d’Etat Mathias Reynard a formulé pour la première fois les excuses du Canton.
C’est une cicatrice toujours présente dans les esprits, celle qu’a laissé dans le paysage valaisan et suisse la tragédie de Mattmark. Il y a 60 ans l’effondrement soudain d’une partie du glacier de l’Allalin, sur le chantier et les baraquements situés en contrebas, causait la mort de 88 personnes, dont 56 migrants italiens, 23 Suisses, auxquels se sont ajoutés des ressortissants autrichiens, espagnols et allemands. Plusieurs événements ont marqué la commémoration de la catastrophe, à travers notamment la parution d’un ouvrage très documenté, signé par l’historienne Elisabeth Joris («Mattmark, 1965», en allemand uniquement). Mais également par une cérémonie qui s’est tenue à Naters le 29 août.
Absence de soutien
Une prise de position importante et de nature inédite a marqué cette commémoration. Elle s’est concrétisée à travers les propos du président du Conseil d’Etat, Mathias Reynard, lors d’un discours – prononcé en français, italien et allemand – qui restera sans doute dans les annales du canton. Car pour la première fois, et de manière officielle, les autorités valaisannes ont reconnu leur imputabilité dans les événements et leurs manquements dans les faits consécutifs au désastre. «Soixante ans plus tard, nous portons la mémoire de ce drame, mais aussi et surtout la responsabilité de ce qui a suivi… Parce qu’à la glace tombée depuis l’Allalin s’est ajoutée l’attitude froide des autorités de l’époque. Certes, notre tempérament helvétique est caractérisé par une certaine discrétion. Mais cette discrétion ne justifiait en aucune façon l’absence de chaleur, de présence et de soutien que les familles attendaient et méritaient.»
L’élu a évoqué dans la foulée les dérapages du volet judiciaire, lorsqu’il s’est agi d’identifier les responsabilités et de sanctionner les coupables: «Les procédures qui ont suivi la catastrophe ont ajouté de la peine à la douleur. Un procès en 1972, puis un appel, qui a conclu que l’écroulement du glacier n’était pas prévisible. Et surtout, cette décision choquante et injuste de demander aux familles des victimes de payer la moitié des frais de la procédure. Ce fut l’ambassade d’Italie à Berne qui se chargea de solder le compte pour les familles italiennes. Il faut le dire clairement: la gestion de cette tragédie a été désastreuse. Et ce fut le Canton du Valais – et non pas la Confédération – qui en a porté la responsabilité. C’est pourquoi, aujourd’hui, au nom du Gouvernement valaisan, je tiens à présenter des excuses officielles.»
Un tournant syndical
A ces propos retentissants, qui ont souligné également l’importance de la présence italienne en Valais – à travers sa culture et son apport crucial à l’essor économique – se sont ajoutés ceux de la présidente d’Unia, Vania Alleva, présente elle aussi sur les lieux de la commémoration. L’intervenante a souligné la nécessité de garder dans les mémoires ce fait tragique et a évoqué sa place particulière dans l’histoire du pays. «Nous savons que cette catastrophe n'était pas une simple fatalité. Elle aurait pu être évitée. Les baraques, les ateliers et les cantines se trouvaient à un endroit dont on savait qu'il était dangereux. Les avertissements des travailleurs n'ont pas été pris au sérieux. L'ignorance, l'indifférence et la recherche du profit ont conduit à cette catastrophe qui n'aurait jamais dû se produire.»
Le drame a marqué également un tournant dans ce qu’était et ce qu’allait devenir le syndicalisme en suisse. C’est ce qu’a rappelé dans son allocution la présidente : «Mattmark a été un signal d'alarme pour un changement d'attitude envers les migrants et le point de départ d'une ouverture syndicale. Car les victimes n'étaient pas simplement des «travailleurs étrangers». C'étaient des collègues qui travaillaient côte à côte avec les travailleurs locaux. (…) Mattmark a également été un signal d'alarme pour la sécurité au travail. Les syndicats ont pris conscience que la sécurité au travail, la protection de la vie et de la santé sont tout aussi essentielles que des salaires équitables ou des horaires de travail réglementés. La sécurité au travail n'est pas un luxe, c'est un droit fondamental.»