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La violence institutionnelle affecte migrants et personnel

Panneau mauvaises conditions dans les CFA.
© DR

Lors du rassemblement à Neuchâtel, des témoignages de requérants d’asile et d’employés ont été relayés. Ces derniers soulignent notamment le manque de formation et de personnel. 

L’association Droit de rester et les syndicats neuchâtelois dénoncent les conditions de vie et de travail inacceptables dans les Centres fédéraux d’asile. Ils demandent un accueil digne de ce nom.

«Les conditions de vie et de travail sont maltraitantes et malveillantes.» Cette dénonciation à l’encontre des Centres fédéraux d’asile (CFA) provient de l’association Droit de rester et de l’Union syndicale cantonale neuchâteloise (USCN).
Lors d’une conférence publique à Neuchâtel, le 19 juin, les deux organisations ont rappelé les conditions délétères prévalant dans ces lieux qui accueillent, après un long périple, des personnes contraintes de fuir leur pays. 
Parallèlement à la Journée mondiale des réfugiés et à l’ouverture du CFA de Genève sur le tarmac de l’aéroport, elles s’insurgent contre les violences systémiques qui affectent les requérants d’asile, ainsi que les salariés. 

Aux mains de sociétés privées
Se référant notamment au CFA de Boudry, le plus grand de Suisse ouvert en 2018, les organisations ont répertorié de nombreuses situations critiques. «Les réfugiés y subissent des conditions de vie indignes alors que les sociétés commerciales ORS, Protectas et Securitas principalement, imposent des conditions de travail inacceptables à leurs employés, soulignent Droit de rester et l’USCN dans un communiqué. Cette violence institutionnelle est le fruit de décennies de politiques fédérales toujours plus restrictives en matière de procédures, de droit d’asile et de budgets alloués.» Les organisations s’indignent des conditions de vie carcérales, des réglementations sans fin, de la localisation des centres en périphérie avec des billets de transport remis au compte-goutte (un par semaine à Boudry); des dortoirs de 6 à 21 personnes sans intimité aucune; des sorties autorisées seulement en journée (rentrée obligatoire à 19h, parfois 21h, selon les CFA), avec des fouilles corporelles à chaque passage. Même les enfants dès 12 ans sont contrôlés. 
«Les heures de cours octroyées aux enfants résidents sont en deçà des minimaux fixés pour les écoliers dans les cursus habituels et dispensées à l’interne», déplorent les organisations.

En cas d’infractions au règlement du centre, des sanctions «arbitraires» sont appliquées: interdiction de sortie pendant 24 heures, ou au contraire exclusion du centre jusqu’à 72 heures, retrait de l’argent de poche ou du billet de transport hebdomadaire… «Les personnes originaires du Maghreb sont victimes de traitements différenciés de la part de la majorité du personnel des CFA», dénoncent encore Droit de rester et l’USCN. Ceux-ci critiquent aussi la restriction des soins médicaux et l’octroi de soins infirmiers par l’entreprise privée ORS, ainsi que la somme dérisoire de 21 francs accordée par semaine. Soit le même montant depuis trente ans. Elles précisent par ailleurs: «En comptabilisant les heures de bénévolat, les travaux d’utilité publique (TUP) sont rémunérés 2,30 francs par heure.»
A noter encore que, si la durée de logement prévue dans un CFA se monte à 140 jours maximum, ce temps est régulièrement dépassé.

Employés en souffrance
«A cause de l’ultraprivatisation du domaine de l’asile, des profits financiers sont réalisés au détriment des conditions de travail», indiquent encore les organisations. Cela conduit à des situations inquiétantes pour la santé psychique et physique des travailleuses et des travailleurs. Ce modèle de sous-traitance a des conséquences délétères rappellent les organisations. Par souci d’économies, les rémunérations sont basses et la charge de travail lourde, ce qui entraîne une baisse de la qualité des prestations. L’USCN dénonce des horaires inconstants, modifiés bien trop souvent pour faire face aux absences et à la pénurie de personnel; celui-ci, pas assez formé, souffre lui-même de ne pas disposer des outils nécessaires pour faire face à des situations complexes de personnes affectées par les traumas de l’exil. 

La pression serait encore accentuée par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), qui pénalise les cantons n’effectuant pas les renvois, ou qui permet de réduire le nombre de réfugiés attribués à chaque région en cas d’acceptation de l’installation d’un CFA sur son territoire. 

Pour un véritable accueil
Droit de rester et l’USCN transmettent ainsi une série de revendications au SEM et aux autorités cantonales: la fermeture des CFA au profit d’appartements et de petits foyers; la scolarisation de tous les enfants dans des écoles publiques; la gestion des hébergements et l’accompagnement par du personnel formé en travail social, au lieu du SEM et de sociétés privées commerciales; l’arrêt des transferts incessants entre les différents CFA; la suppression de règles insensées et des sanctions; la flexibilité des horaires de rentrée; l’autorisation de travailler; la rétribution correcte des TUP; une prise en charge médicale de qualité; ainsi qu’une application stricte de la réglementation fédérale en matière de droit du travail pour les employés des centres. 

Plus largement, c’est à un changement de paradigme auquel aspirent les organisations: l’asile, non pas perçu comme un problème ou une menace, mais comme un droit inaliénable garantissant à tout être humain d’être accueilli en toute solidarité. 

Témoignage

«Nous avons fui la guerre»

Le témoignage d’un requérant d’asile burundais a été recueilli par Droit de rester. Arrivé début août 2022, sa première image est celle du CFA de Zurich. De 11h à 18h, avec une cinquantaine de personnes, il a attendu d’être reçu sans rien recevoir à manger. «Autour de moi, des enfants pleuraient. J’ai vu des pères se faire fouiller de manière très intrusive, y compris dans les parties intimes. C’était humiliant. Ces images m’ont blessé profondément.» Le lendemain, il a reçu un billet de train pour se rendre à Boudry, sans autre explication. S’étant perdu, il a mis cinq heures pour y arriver. Un dortoir à partager, des fouilles plusieurs fois par jour, un règlement strict… «Mais le plus dur, c’était le silence. Beaucoup de requérants n’osaient pas parler. Ils avaient peur que leurs plaintes mettent en danger leur demande d’asile.» Trois semaines plus tard, il est transféré à Chevrilles (Gouglera) dans le canton de Fribourg. Le sentiment d’être en prison est encore plus fort. «Au moins, on pouvait dormir quand on voulait. Mais les familles souffraient encore plus que nous. Il manquait souvent des couches et du lait pour les bébés.» En deux ans et demi, le jeune homme a vécu dans cinq centres, notant de nombreuses contradictions dans les règlements. «Je témoigne pour dire la vérité, pas pour me plaindre. Je sais que la Suisse aide beaucoup de personnes. Mais il faut aussi entendre les voix de ceux qui souffrent dans les centres. Il ne s’agit pas seulement de dormir et manger. Il s’agit de vivre avec respect, dignité et espoir. Nous ne sommes pas des criminels. Nous sommes des hommes, des femmes, des enfants qui avons fui la guerre, la peur ou la misère. Ce que nous demandons, c’est juste un peu d’humanité.» 

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