«La politique d’asile tue»
Près d’un millier de personnes ont manifesté jeudi à Genève dénonçant «une politique migratoire qui tue», à la suite du suicide d’un jeune requérant d’asile afghan débouté
Le suicide d’Alireza, un jeune requérant d’asile afghan, a réuni jeudi dernier devant l’Hospice général, à l’appel des associations de défense de l’asile, un millier de manifestants. But de la mobilisation: dénoncer une «politique d’asile suisse et genevoise qui continue de tuer» et exiger que les exilés bénéficient du droit de construire leur vie dans nos frontières. Les participants se sont ensuite rendus devant les bureaux du Conseil d’Etat afin de faire valoir une liste de revendications visant à améliorer l’accueil des réfugiés, en particulier des mineurs. Rappelons que le jeune homme a mis fin à ses jours le 30 novembre, deux jours après avoir pris connaissance du jugement du Tribunal administratif fédéral (TAF). Ce dernier, précise le Centre social protestant (CSP) dans un communiqué, a confirmé la décision de non-entrée en matière du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) sur sa demande d’asile. Et, partant, son renvoi vers la Grèce. «Cette décision est particulièrement choquante. Les autorités n’ont pas pris en compte la fragilité d’Alireza», commente Raphaël Rey, chargé d’information sur l’asile au CSP. «Le SEM et le TAF avaient pourtant sous les yeux un rapport médical notant à plusieurs reprises “la grande vulnérabilité psychique” liée à l’histoire traumatique du requérant. Et un “risque de passage à l’acte suicidaire élevé en cas de renvoi”. Ils ont donc sciemment écarté l’avis des médecins», ajoute le porte-parole, précisant qu’Alireza était passé à la permanence juridique du CSP la veille de sa mort. Et que son dossier était en cours d’analyse.
Un élément déclencheur
«La décision des autorités fédérales a été l’un des éléments déclencheurs de son geste. Alireza a d’ailleurs laissé une lettre dans ce sens. Nous n’entendons pas instrumentaliser ce cas, mais ce n’est pas la première fois que les autorités passent outre les avis médicaux. Avec, pour conséquence, des vies brisées.» Le verdict est jugé d’autant plus heurtant qu’il viole clairement le droit suisse selon le CSP. «Au printemps dernier, le TAF a en effet imposé des restrictions strictes pour les renvois vers la Grèce, notamment pour les personnes particulièrement vulnérables. Comment se fait-il qu’il n’a pas appliqué sa propre jurisprudence?» s’interroge l’organisation. L’Afghan avait obtenu en 2020 un statut de protection en Grèce. Il a gagné la Suisse en avril 2021, fuyant des conditions d’existence extrêmement difficiles. «Alireza a vécu un an et demi dans le camp de Moria où il a été confronté à des violences terribles. Il bénéficiait à Genève d’un soutien éducatif et psychologique, de l’appui d’une famille relais et parlait bien français», souligne Raphaël Rey, rappelant la dramatique situation des réfugiés en Grèce – Etat tiers jugé pourtant sûr par les instances compétentes – parqués dans des camps ou à la rue. Dans ce contexte, estime le collaborateur du CSP, le Canton doit se positionner clairement et décider d’un moratoire sur l’exécution des expulsions vers ce pays mais aussi vers d’autres comme la Croatie, l’Italie ou la Bulgarie. «Il dispose de cette marge de manœuvre. Et s’est déjà, par le passé, opposé à des renvois, mais les exemples restent trop rares.»
Des foyers à dimensions humaines
Même revendication de Solidarité Tattes. L’association citoyenne critique par ailleurs les modalités d’accueil des jeunes requérants d’asile. Et réclame, en lieu et place du Centre décrié de l’Etoile où résidait Alireza, des foyers de petites dimensions comme pour les autres mineurs et un fort encadrement socioéducatif pour les 18-30 ans. «Actuellement, quelque 150 jeunes, dont plus d’une moitié de mineurs, vivent dans cette structure située en zone industrielle, en bord d’autoroute et gardée par des agents de sécurité», note Dario Lopreno, militant actif et membre du Syndicat des services publics. «Les éducateurs – moins d’une vingtaine – se trouvent en sous-effectifs et ont tous des contrats à l’heure précaires en dépit de tâches stables. Cette situation doit cesser.» L’association citoyenne plaide de surcroît en faveur de conditions de vie matérielles des demandeurs d’asile équivalentes à celles de l’aide sociale. Et d’un droit à la formation et au travail pour tous. «Ce rassemblement est une cérémonie publique pour Alireza, un hommage que nous lui rendons. C’est aussi l’occasion d’exiger des changements drastiques passant par une réelle intégration et un suivi des personnes concernées», ajoute Dario Lopreno, non sans préciser: «Cela fait des années qu’on se bat contre de mauvaises conditions d’accueil. Si nos demandes étaient entendues et si le Conseil d’Etat annonçait qu’il renonçait à exécuter les renvois, la situation serait aujourd’hui sans aucun doute très différente.»