La parole à la classe ouvrière
Le Collège du travail propose des témoignages sonores de travailleuses et de travailleurs recueillis dans les années 1980 et 1990. Le podcast "Voix d’en bas" est à écouter sur son site
«Ces témoignages passionnants rendent compte de la vie quotidienne et des luttes menées dans la première moitié du XXe siècle.» C’est ainsi que le Collège du travail introduit les dix interviews d’ouvriers, d’ouvrières, de syndicalistes, de militants et de militantes de gauche. Ces épisodes, généralement d’une durée d’une heure, sont accompagnés de petits extraits de deux minutes qui donnent le ton et invitent à écouter les Voix d’en bas, titre de la série.
Les entretiens ont été enregistrés dans les années 1980 et 1990, en vue d'ouvrages publiés par le Collège du travail, d'émissions de radio ou encore d’une exposition organisée avec le Musée d'ethnographie de Genève en 1992*. Le Collège du travail vient ainsi de rendre ses archives audio disponibles au plus grand nombre, ses interviews n’étant accessibles, jusque-là, que dans ses locaux. «En 2016, nous avions numérisé nos cassettes magnétiques pour les préserver. Au moment du confinement lié au Covid, il nous a paru important de mettre à disposition ces ressources sur notre site internet, puisqu’il n’était plus possible de venir les consulter dans nos locaux», indique Patrick Auderset, historien et coordinateur du Collège du travail. «Ce sont des entretiens qui n’ont pas été produits pour être diffusés, mais la richesse de ces témoignages méritait qu'ils puissent être écoutés par un large public.» Les trois intervieweuses de l’époque, Christiane Wist, Paulette Deleval et Alda de Giorgi, avaient été mandatées par le Collège du travail. Monté par Gabriel Sidler, ce podcast a été rendu possible grâce aux mesures de soutien au domaine culturel Covid-19 attribuées par l'Office fédéral de la culture et le Canton de Genève.
Première moitié du XXe siècle
Entre autres témoignages, citons la femme de chambre Madeleine Lamouille (1907-1993) qui met en lumière ses conditions de travail. Elle était alors à la merci des caprices de sa patronne, qui avait même eu l’arrogance de la rebaptiser Marie. L’ouvrier communiste Armand Magnin (1920-2011) parle des grèves victorieuses dans l’usine Similor. Les travailleurs de la construction, Henri Tronchet (1915-1993) et Gustave Berger (1911-1998), témoignent des méthodes musclées de la Ligue d'action du bâtiment. Le menuisier-charpentier Gaston Baumann (1909-1998) se souvient de son emploi au noir en 1927 chez un charbonnier à Paris. Jeanne Magnin (1896-1993), couturière indépendante, parle de son métier, de la mode, d’une époque où les manteaux usés des adultes servaient à confectionner ceux des enfants. L’ouvrière-horlogère syndicaliste, Louisa Vuille (1901-1994), elle, s’insurge contre les inégalités salariales. Maxime Chalut (1912-1999), promoteur du sport ouvrier, revient sur le 9 novembre 1932, quand il a refusé de porter les armes. Franco Stabilini (1921) se souvient de la guerre en Italie, des licenciements dans son pays natal et de son arrivée en Suisse. Enfin, la contraception et l’avortement dans les années 1920 sont évoqués au travers du 10e podcast par un ouvrier genevois.
Quand les Suisses émigraient
«Certains aspects de la précarité des conditions de travail font écho à la précarisation en cours aujourd’hui, mais permettent aussi de se rendre compte des luttes nécessaires, rien que pour avoir congé le samedi après-midi dans le bâtiment ou l’industrie, analyse Patrick Auderset. La camaraderie dans le travail tranche avec la grande fragmentation sociale qui a cours de nos jours. La question de la migration est importante aussi. On a un peu oublié que, jusqu’à l’entre-deux-guerres, les Suisses partaient ailleurs pour vendre leur force de travail.» Et le coordinateur du Collège du travail de rêver à d’autres projets d’histoire orale. «Dans un monde saturé d’images, je pense que le podcast audio permet un autre type d'expérience. Recueillir des témoignages de travailleuses et de travailleurs d’aujourd’hui, les laisser raconter ce qui est important pour eux, faire connaître cette parole encore trop rare ou trop formatée par les médias, me semble essentiel.»
La fondation du Collège du travail a été créée en 1978 à Genève pour sauvegarder la mémoire du monde du travail, contribuer à son histoire et à ses luttes.
Podcasts sur: collegedutravail.ch
* Livres: La Vie quotidienne et les luttes syndicales à Genève 1920-1940 et Ils ont bâti la ville, Genève 1920-1940.
Emission radio: Ménage-toi (1986-1987) sur Radio Zone.
Exposition: «C’était pas tous les jours dimanche…» Vie quotidienne du monde ouvrier. Genève 1890-1950.
Extraits tirés du podcast Voix d’en bas
«Faire grève malgré la paix du travail» - Armand Magnin (1920-2011), militant syndical communiste, ouvrier à la robinetterie Similor:
«La paix du travail (…) rendait extrêmement difficile la grève. (…) Les grèves étaient conduites à la fois contre le patron et contre la direction syndicale. On a failli se faire exclure à plus d’une reprise de la FOMH pour avoir déclenché des grèves (…) en général pour des questions de salaires, et une fois parce qu’ils avaient congédié un vieil ouvrier de la fonderie. On a mené une grève de 24 heures pas plus. Et on avait obtenu son réengagement. Ils ont cédé. Depuis ce jour-là, on a été pris au sérieux.»
Lutter contre les discriminations salariales - Louisa Vuille (1901-1994), ouvrière horlogère combattive:
«J’étais un petit peu remuante au point de vue syndical. On aimait mieux des fois me voir à la maison qu’à l’atelier (…). A l’ouvrier qui était à côté de moi, c’était un très bon ouvrier et il savait aussi faire la retouche (…), je lui ai dit: “Il vous met à l’heure pour faire des retouches?” “Non, il me le donne aux pièces.” “Et puis, il vous paie combien?” Il me l’a dit. Pis moi, j’ai fait un petit calcul, et quand j’ai vu qu’il gagnait 40 centimes l’heure [de plus que] sur ma paie, alors j’ai attaqué.»
L’action directe sur les chantiers genevois - Henri Tronchet (1915-1993), militant anarchiste et syndicaliste:
«Lorsqu’un contrat collectif était signé, souvent, les entrepreneurs disaient: “Ah, on verra qui le fera appliquer!” Et il y avait presque une obligation de l’organisation, la FOBB, en l’occurrence, les militants, de faire la démonstration qu’on était capable de faire appliquer le contrat collectif, par exemple pour le samedi après-midi. Ça paraît maintenant extraordinaire de parler qu’on devait se battre pour avoir le samedi après-midi de libre. Et alors c’est là qu’a été créée la LAB, la ligue d’action du bâtiment, dont l’objectif était de faire respecter le contrat collectif en particulier sur les horaires (…). C’était le mot d’ordre: tout travail exécuté hors des horaires doit être démoli!»
Exposition sur le 9 novembre 1932
Le Collège du travail et le Comité du 9 novembre 1932, avec la participation de la Bibliothèque de Genève, organisent une exposition à l'occasion des 90 ans de l’intervention de l’armée contre une manifestation antifasciste qui a fait 13 morts et 65 blessés à Genève. L’exposition en plein air sera visible du 1er au 20 novembre sur la plaine de Plainpalais. Le vernissage est prévu le 1er novembre à 18h. Puis, par la suite, des conférences, des visites guidées et des balades historiques, ainsi qu’une manifestation le samedi 12 novembre à 16h (départ place Lise-Girardin).
Une publication, intitulée 9 novembre 1932. Répression meurtrière d’une manifestation ouvrière, peut être commandée (10 francs + frais d’envoi), auprès du Collège du travail (info [at] collegedutravail.ch (info[at]collegedutravail[dot]ch)) ou de la CGAS (info [at] CGAS.ch (info[at]CGAS[dot]ch)).
Plus d’informations sur: collegedutravail.ch