Une vidéo de Thierry Porchet.
«Je rêve d’un monde où chacun aurait sa place»
Pause-café avec Virginie Mouche, membre du comité de l’industrie d’Unia Neuchâtel.
Entrée assez tôt dans la vie active, Virginie Mouche a déjà pu avoir un bon aperçu des injustices régnant dans le monde du travail. En particulier dans le domaine de l’horlogerie, où cette Neuchâteloise de 46 ans, mère de deux enfants ayant déjà quitté le nid, travaille «depuis toujours», comme elle le dit. Soit depuis l’apprentissage qu’elle a effectué à peine sortie de l’école obligatoire. «Quand on vit à La Chaux-de-Fonds, c’est difficile d’échapper à l’horlogerie, le principal secteur industriel ici», confie celle qui occupe la fonction d’approvisionneuse. En clair, elle se charge de la fourniture des différents composants qui entrent dans la fabrication des montres. «Mes parents étaient eux aussi employés dans l’horlogerie, tout comme mon frère. Une fois qu’on a le pied dedans, on n’en ressort pas facilement. Tout le tissu économique de la région tourne là autour.»
Si elle est tombée dès l’adolescence dans la marmite horlogère, ça s’est joué plus tard pour le syndicalisme. Et dans ce cas, l’atavisme n’y est pour rien. «Je me suis laissée embarquer il y a une dizaine d’années, quand des secrétaires syndicaux sont venus en visite dans l’entreprise où je travaillais.» Unia peut se targuer d’avoir trouvé en elle une bonne recrue, puisqu’elle s’est beaucoup mobilisée par la suite, après avoir suivi une formation syndicale.
Convergence des luttes
Elle vient de rendre son tablier de vice-présidente de la région Neuchâtel d’Unia, mais elle reste membre du comité de l’industrie ainsi que du groupe d’intérêts femmes. En plus de cet engagement syndical, Virginie Mouche est élue suppléante au Conseil général de La Chaux-de-Fonds, sous les couleurs du POP (Parti ouvrier populaire) et soutient également le combat de la Grève féministe et celui pour les droits des personnes LGBTQIA+. «Pour moi, toutes ces luttes se rejoignent. Je rêve d’un monde où chacun aurait sa place sans avoir besoin de se battre pour la trouver. Je pense que j’ai toujours eu ces convictions, mais j’ai longtemps été accaparée par l’éducation de mes enfants.»
En trente ans, la Chaux-de-Fonnière est passée par diverses entreprises. Après avoir été employée douze ans au sein de Swatch Group, elle a quitté avec soulagement le géant suisse de l’horlogerie pour une place dans une petite manufacture du bas du canton de Neuchâtel, active dans le segment des montres de luxe. Une fabrique qui ne compte qu’une centaine de salariées et de salariés. Un autre monde. «En arrivant ici, j’ai réalisé qu’on n’est pas très bien payés chez Swatch Group, même si, dans les bureaux, on est un peu mieux traités que dans la production.»
Dans l’entreprise du groupe biennois où elle travaillait, elle a présidé la commission du personnel. «Cela m’a permis d’être en contact direct avec les collègues de la production. J’ai vu des choses très moches. Des salaires particulièrement bas, et des gens avec dix ou quinze ans d’expérience qui n’avaient jamais eu la moindre augmentation. Les patrons prétendent qu’il n’est pas possible d’accorder des hausses de salaire, mais quand les résultats sortent en janvier, on voit bien que l’entreprise a fait des millions de bénéfices. On économise sur le dos du personnel pour remplir les poches des actionnaires. C’est une injustice qui me choque!»
Ne pas tout accepter
Virginie Mouche dénonce par ailleurs le recours trop fréquent au personnel temporaire dans l’industrie horlogère: «Quand les affaires marchent, on embauche des temporaires et, dès qu’il y a la crise, on se débarrasse d’eux. Comme ils ne sont pas sous contrat, les employeurs se vantent alors de n’avoir licencié personne…»
Plus anecdotique, mais non moins scandaleux, elle a subi la mesquinerie des pauses pipi non comptées sur le temps de travail, une pratique qui existait aussi dans son entreprise. «Nous avons manifesté avec Unia contre le timbrage des pauses pipi, raconte-t-elle. Dès que le syndicat et les médias se sont emparés du sujet, un cadre de Swatch Group est venu de Bienne pour dire de mettre fin à ce système.»
Militante dans l’âme, elle trouve que, dans notre pays, les gens ont trop tendance à se laisser faire. «C’est un côté très suisse. On ne doit pas se plaindre et s’estimer déjà heureux d’avoir un travail, même si on touche parfois des salaires qui ne nous permettent pas de boucler les fins de mois. Mais avec les années, on prend conscience que ce n’est pas normal de tout accepter.»