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«Je pense avec mes doigts»

Nicolas Bernière en train de peindre.
© Thierry Porchet

Sur le thème du jardinier... L’œuvre au fusain et à l’acrylique dialoguera également avec des objets-sculptures de l’artiste en relation avec le sujet choisi.

Artiste polyvalent, Nicolas Bernière jette notamment son dévolu sur la fabrication d’œuvres et d’installations en carton. Poétiques réceptacles de son imaginaire débridé

Foisonnant et singulier univers que celui de l’artiste français Nicolas Bernière, partageant sa vie entre Paris et la capitale helvétique. Son vaste et lumineux atelier installé à Berne regorge d’œuvres insolites mêlant peintures, dessins, sculptures et objets participant d’installations. En poussant la porte de l’antre du créateur, on a un peu le sentiment d’entrer dans un cabinet de curiosités. Au milieu de pinceaux, de tubes de peinture, d’outils de bricolage, de chevalet, etc., sur le fond sonore d’une chaîne diffusant sans interruption de la musique classique, se dévoile un monde pluriel où le carton occupe une place de choix. L’homme de 50 ans a en effet jeté, entre autres, son dévolu sur ce matériau pour créer des tableaux animés à l’image de ce qu’il nomme sa «boîte-arbre». Une composition verticale formée de multiples boîtes aux motifs et aux tailles différents façonnées par l’artiste qui, toutes, illustrent le thème choisi. Chacune des 150 pièces de cet ensemble, fixées grâce à des aimants sur un support circulaire, présente une double face. Offre une lecture à plusieurs niveaux.

Exposition.
Des univers en carton poétiques plus vrais que nature... © Thierry Porchet

 

De l’autre côté du miroir

On voit d’abord l’extérieur de ces éléments magnétiques, marouflés de papier de soie finement peint et harmonieusement agencés. Mais leur intérieur est tout aussi riche. Le spectateur est ainsi appelé à soulever ces rectangles pour y découvrir, ici un insecte, là une brindille, ailleurs un esprit de la forêt ou même des surprises matérielles comme une feuille séchée, trois pives accrochées à une branche, ramassées au gré de balades... Le processus se veut une invite à percer l’envers du décor, à aller voir de l’autre côté du miroir, au-delà des apparences. Biologie et réalisme y côtoient le fantastique. Peinture, sertissage et gravure servent de supports à l’imaginaire. Avec, à la clef, des ensembles narratifs où transparaissent la sensibilité de l’artiste, ses préoccupations ou encore son humour. Une «mécanique» dense et légère à la fois, poétique et ludique. «Le caractère interactif vise à rapprocher le regardeur de l’œuvre. A le faire participer», précise Nicolas Bernière, tirant, pensif, sur sa énième cigarette. Et l’homme d’illustrer son propos en présentant d’autres compositions de ce type. Comme la «boîte-ville» qui réunit des gratte-ciel emblématiques de différentes capitales, celle consacrée aux portulans, une troisième aux cascades... Autant de créations conçues toutes sur le même principe du contenant recélant des merveilles. Créant des écrins aux rêves.

"Boîte-arbre".
La «boîte-arbre». Une invite à aller regarder l’envers du décor. © Thierry Porchet

 

Des jouets aux installations

Le carton sert ainsi volontiers les desseins de l’artiste aussi connu pour ses installations qui prennent l’aspect de décors de théâtre délicatement ouvragés. Nicolas Bernière a commencé à utiliser ce matériau pour son fils. Aux jouets en carton fabriqués pour son enfant a succédé toute une gamme d’œuvres dans cette matière appréciée pour sa légèreté, sa solidité, sa noblesse et ses propriétés dans le travail des ombres et de la lumière, de la couleur et du relief. Nicolas Bernière est aussi attaché à l’aspect recyclable de ce support et à une certaine simplicité. Instruments de musique, meubles, cafetières, avions, téléphone à l’ancienne, sac à dos, caméra, robot... Aucun objet n’est trop compliqué pour ce bricoleur dans l’âme, aimant dire «qu’il pense avec ses doigts» et agit à l’instinct, au désir, à la joie. Rien de conceptuel dans cette démarche qui n’en ouvre pas moins le regard et l’esprit, et titille les sens. Valorisant les séries, également dans ses autres supports artistiques, le créateur entend ainsi, par l’arborescence de ses thématiques, susciter des réflexions, créer du lien et des émotions. Il s’intéresse en particulier à la nature et sa détérioration, aux questions sociales, à la surconsommation et, partant, à l’encombrement, à l’évolution des objets, à la modernité également appréhendée de manière décalée, au cosmos, à l’anatomie... se plaçant toujours dans le rôle de l’observateur. Noircissant souvent auparavant des cahiers qu’il montre. Des pages lui permettant de jeter les fonts baptismaux de ses tableaux et d’une approche polymorphe et cohérente au-delà de ces métamorphoses.

Robot lors d'une exposition.
Robot d’un autre temps présenté lors d’une exposition collective avec la peintre Andrea Wolfskämpf et une des œuvres de cette dernière au premier plan. © Thierry Porchet

 

Fièvre de faire

Ses créations forment en effet des corpus. Relatent en filigrane des histoires. Des récits aux trames souvent aussi narrées sur toile. A l’image de la gigantesque œuvre au fusain et à l’acrylique qui l’occupe ces jours sur le thème du jardinier. Une serre énorme, foisonnante de détails témoignant de la richesse du monde intérieur de l’auteur et de sa fantaisie, qui dialoguera également avec des objets-sculptures. Ce talent pluriel, cette polyvalence et cette maîtrise des techniques, Nicolas Bernière l’a forgée à l’Ecole supérieure des arts et industries graphiques Estienne à Paris, puis auprès du peintre Philippe Lejeune, à l’Ecole d’Etampes. L’homme s’est aussi formé à la «morphologie du vivant» à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris et a suivi un cycle de l’Histoire de l’art à l’Ecole du Louvre. Mais il a également énormément appris en autodidacte. «Je n’appartiens ni à la catégorie Art brut, ni à celle des artistes officiels. Mes grands-pères étaient ouvriers. Mon père a procédé à sa propre éducation, piochant à droite et à gauche et exerçant plusieurs métiers.» De quoi influencer Nicolas Bernière qui, animé d’une fièvre de faire, joue des méthodes et des supports, troquant aisément ses pinceaux contre un fusain, une paire de ciseaux, de la colle, de la ficelle... passant du chevalet aux installations immersives qui, toutes, se déplient et se replient dans un chaos ordonné.

Portrait de Nicolas Bernière.
Nicolas Bernière, artiste inclassable, s’est tracé une voie sur mesure. © Thierry Porchet

 

Existence nomade

Enfant déjà, Nicolas Bernière, fils unique, consacre son temps libre à dessiner et confie sa fascination pour les fascicules d’Histoire de l’art auxquels ses parents sont abonnés. S’il est né à Paris, il grandira dans différentes régions de France et divers pays, dont le Maroc et en Côte d’Ivoire, son père changeant régulièrement de professions. «J’ai vécu une existence de nomade. Je ne connais pas ce sentiment d’être de quelque part», note l’artiste, nourrissant une vision éclectique du monde. A l’image de ses œuvres. «Le fil rouge entre mes différentes créations? C’est moi, sourit-il. La signature de mes dessins, de mes sculptures...: mon énergie. Une partie enchantée de mon approche réside dans cet espace de liberté, ce foisonnement. Inclassable, je fabrique ma propre case», affirme Nicolas Bernière, confiant ce besoin de changement pour ne pas s’ennuyer. Et goûtant, quand il crée, à une plénitude quel que soit le langage visuel privilégié. L’art étant défini comme «une intime conviction qui le guide», propre à décanter ses idées pour leur offrir la plage d’expression la plus adéquate. Un chemin hors des sentiers battus, des styles et des canevas à la mode qui formatent et brident l’imaginaire. Celui de Nicolas Bernière est bien trop fécond pour se laisser enfermer...


Plus d’infos sur:
nicolasberniere.com
instagram.com/nicolasberniere