L’association Nela expose 29000 bateaux en papier, chacun symbolisant un enfant, une femme ou un homme mort noyé en Méditerranée. Une bouteille à la mer face à l’indifférence
Dès aujourd’hui, une vague de 29000 petits bateaux de papier forme une triste rivière dans la cathédrale de Lausanne. Une œuvre cocréée par plus de 500 élèves vaudois, de familles, d’amis, de clubs de sport, de marraines et de parrains. A l’initiative de ce projet impressionnant: l’association Nela, et plus précisément Valérie Despont, enseignante en arts visuels, en charge bénévolement des parrainages de jeunes migrants dans le canton de Vaud.
«Ce chiffre de 29000 n’est que la pointe de l’iceberg et le décompte commence en 2014 seulement. Beaucoup de naufrages ne sont pas répertoriés, précise Valérie Despont. Chaque navire dit le rêve anéanti, l’épuisement, la douleur et la mort.»
Ce médium poétique qu’est le petit bateau en papier, enfantin et fragile, montre ainsi paradoxalement l’horreur. La Méditerranée est devenue cimetière. Face à la politique de la forteresse Europe, face à l’indifférence, le projet fait figure de bouteille à la mer, «une tentative de prise de conscience d’un drame quotidien», précise l’initiatrice. Intitulée «Et vogue la galère», l’exposition présente également des témoignages audio de jeunes survivants ayant embarqué en Turquie avec pour destination la Grèce ou l’Italie.
Risquer de mourir pour survivre
Malgré les années écoulées, l’émotion reste forte dans la voix des réfugiés qui racontent l’horreur de leur traversée: les pannes, la panique, les morts, les violences policières… Il y a Moheb, qui avait promis à sa mère de ne pas prendre le bateau, mais qui montera tout de même sur une embarcation gonflable dont le moteur tombera en panne. Il y a Mohamed qui a cru mourir tout au long d’une nuit sans fin, ballotté sur un navire à la dérive, avant d’être rudoyé par la police. Il y a aussi cette jeune mère syrienne qui, enceinte de cinq mois, accompagnée de son fils de 2 ans et demi et de sa mère, s’est sentie si mal dans la cale du bateau surchargé, rappelant qu’aucune personne ne choisit un tel péril si ce n’est pour échapper à une situation encore pire… Quant à Nabila, qui a fui l’Afghanistan, son embarcation a été inondée trente minutes après avoir quitté la Turquie. «Grâce à Dieu, on a été sauvés. On a été arrêtés par la police turque, et ramenés à Istanbul dans un camp fermé pendant un mois. On était plus de 200 personnes. Ce n’était pas ce qu’on avait imaginé. On avait payé 5000 euros, on pensait que ce serait un grand bateau…»
Si l’exposition illustre un cimetière marin, Valérie Despont souligne l’importance de parler des rescapés et de leur besoin d’un accompagnement véritable. «Actuellement, je connais une quinzaine de jeunes espérant rencontrer une marraine ou un parrain qui les sortira de l’anonymat des foyers dans lesquels ils sont des centaines à avoir la même histoire épouvantable de vie. D’avoir un lien avec une famille suisse avec qui partager un repas, un sport, une balade, ça change la vie», souligne celle qui a déjà œuvré à la création de 380 parrainages dans le canton de Vaud. «On doit s’occuper d’eux, car la vie ici n’est pas simple.»
Plus d’informations sur l’exposition «Et vogue la galère. Survivre à la mer, vivre ici. Témoignages» et horaires des visites guidées à la cathédrale de Lausanne sur: association-nela.ch
A voir, du 7 au 18 juin.