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Elle danse sur scène et dans la vie

Danseuse et interprète communautaire Niruba Marazzi virevolte avec grâce et énergie entre ses deux cultures suisse et tamoule

Niruba Marazzi, sur scène, c'est un poème. Dans son habit de lumière indien, ses pieds frappent le sol, avec force, son corps est ancré, ses bras sont légers et élégants, ses mains parlent, ses yeux brillent, son sourire s'adresse à la salle et aux divinités, celles dont les mythologies sont racontées à travers le bharata natyam, danse millénaire de l'Inde du Sud. Lors de la fête d'anniversaire de l'association de soutien aux migrants Appartenances, le 21 septembre dernier, elle est montée sur scène avec ses élèves, puis en solo avec Pascal Auberson. Le chanteur et elle ont improvisé un duo improbable, splendide. Une première pour Niruba Marazzi qui ne connaissait pas l'artiste vaudois avant, avoue-t-elle un peu gênée.
La férue de musique indienne virevolte pourtant entre deux cultures. Parfaitement bilingue, la jeune femme sri-lankaise et suisse, parallèlement à ses cours de danse, est interprète communautaire à Appartenances. Un métier difficile, mais passionnant. «Généralement, des associations, des écoles, ou des médecins me demandent de venir traduire quand il y a un problème. Je dois faire passer le message, et c'est moi qui suis touchée la première par la réaction des gens... Mais j'ai ce plaisir d'aider. C'est peut-être un peu égoïste», relève-t-elle, dans toute sa générosité. Ce contact permanent avec des migrants sri-lankais lui permet aussi de mieux comprendre son histoire personnelle.

Un exil douloureux
Elle a 9 ans lorsque sa mère est contrainte, après avoir reçu une menace de mort, de quitter leur petit village du nord du Sri Lanka, pour rejoindre son mari réfugié politique en Suisse. «Elle a vendu tous nos biens et nous nous sommes envolées avec mes deux petites sœurs pour Moscou, puis l'Allemagne, et la France, avant d'arriver en Suisse. Le voyage a duré une année, en avion, en voiture et même à pied... On a dû vivre caché», se souvient-elle. «J'ai quelques souvenirs, mais je devrais rediscuter de tout ça avec ma mère. Je pense à elle, à ce qu'elle a pu vivre, à son courage, à chaque fois que je traduis les propos d'un migrant qui parle de son parcours, de ses peurs...»
Enfant, elle ressentait de la honte d'avoir dû voyager clandestinement, et de la colère contre ses parents de devoir tout recommencer. «Mes camarades de classe savaient déjà lire et écrire, et moi je devais réapprendre l'alphabet, alors que j'étais une bonne élève au Sri Lanka.» Le racisme qu'elle subit est tout aussi douloureux. «Aujourd'hui, ça ne me fait plus mal. Je comprends que les personnes racistes ont peur de perdre quelque chose, peur de l'inconnu. C'est comme quand on me propose un plat que je ne connais pas, j'hésite, mais mieux vaut goûter...»

La passion de la danse
Sa scolarité, malgré les difficultés, se poursuit au gymnase. Elle a terminé un apprentissage de dessinatrice en bâtiment, mais, avant, a fait un bref passage par l'EPFL. «C'était une période difficile, mes parents se séparaient. Je ressentais beaucoup de rage et de tristesse. C'est à ce moment que j'ai commencé des cours de bharata natyam. Je me nourrissais de la danse. Je ne vivais que pour cette passion.» Une passion qu'elle croit avoir eu en elle depuis toujours, mais qui s'est révélée quand elle a rencontré la professeure de danse Chandravathane Vijayasundaram. «A 22 ans, j'ai commencé à apprendre les bases techniques aux côtés d'enfants de 6 ans», sourit Niruba Marazzi.
En 2004, elle vit son premier retour au pays, le temps des vacances. «J'avais besoin de ce retour pour répondre à mes questions. Je me suis alors rendu compte que j'étais devenue Suisse dans ma tête.» La même année, elle y retourne pour danser. C'est la dernière fois qu'elle a mis les pieds sur son île. Elle n'en a plus le cœur, ni le courage, depuis l'assaut final sanglant du gouvernement contre les Tigres tamouls en 2009, durant lequel des milliers de civils ont perdu la vie. «Les gens que j'ai vu lors de mon premier retour ont été tués et l'orphelinat, où j'avais amené des cadeaux, rasé. J'ai perdu mon pays une deuxième fois», raconte-t-elle les larmes aux yeux.

Un mariage non arrangé
Niruba Marazzi aimerait pourtant faire connaître son pays d'origine à son époux, rencontré à l'école d'informatique à Ste-Croix. «L'école ne m'a pas convenu. Mais j'y ai rencontré mon futur mari. Un Blanc!», dit-elle en riant. Si elle parle de la couleur, c'est que son couple fait figure d'exception dans la communauté tamoule où le mariage arrangé est encore la règle. «Je comprends les deux systèmes. Et je ne crois pas que l'un soit meilleur que l'autre. Au sein de la communauté, les mentalités changent doucement...» En août 2009, elle se marie deux fois, à une semaine d'intervalle, au Temple hindou puis à l'Eglise.
De cette union est né Luca, il y a deux ans et demi. En devenant maman, elle a quitté son poste de dessinatrice en bâtiment pour se consacrer à l'interprétariat et à ses cours de danse qu'elle enseigne à une quarantaine d'enfants et à de jeunes adultes de l'Université de Lausanne. «Ce cours, c'est ma victoire! Car j'ai toujours rêvé d'enseigner à des personnes d'autres cultures», exulte Niruba Marazzi. Son rêve: ouvrir une école pour partager son amour de la danse.

Aline Andrey