Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

Des visages dans la guerre

Portrait issu de l'exposition.
© Alexander Chekmenev, Visages de la guerre/Faces of war, 2022-2023.

Jusqu’à fin juin, la Haute école pédagogique Vaud expose des portraits du photographe ukrainien Alexander Chekmenev. Retour sur une table ronde qui a eu lieu en marge du vernissage le 30 mars

Jusqu’à fin juin, le photographe ukrainien Alexander Chekmenev expose Visages de la guerre / Faces of war, 2022-2023 dans les couloirs de la Haute école pédagogique Vaud, à Lausanne. Le 30 mars, le vernissage a eu lieu en présence de l’artiste, internationalement reconnu, qui vit et travaille en Ukraine. Dans le cadre d’une table ronde sur le thème «Comment expliquer la guerre aux enfants?», Alexander Chekmenev a tenu à exprimer, en préambule, sa profonde gratitude à l’aide apportée aux réfugiés ukrainiens. «J’ai été très touché, depuis mon arrivée, par mes rencontres avec les étudiants et les professeurs. J’espère que mes portraits pourront aider les générations futures à mieux comprendre la réalité de cette guerre. Mais c’est difficile de donner des conseils aux enseignants. On aurait besoin de psychologues…» Comme l’a rappelé Barbara Fournier, responsable de la communication de la HEP: «Comment se saisir de cette question brûlante lorsque l’histoire se dévoile tragiquement sous nos yeux?» Pour le professeur Alain Pache, «le plus difficile est de sortir de sa propre stupeur», puis «de mettre des mots, d’expliquer, pour éviter de laisser les élèves dans l’angoisse, l’insécurité et les émotions». Or, comprendre les enjeux géopolitiques, questionner les sources, s’interroger sur la véracité des informations n’est pas simple, même pour des professeurs. Alain Pache a fait une enquête auprès d’une trentaine d’enseignants vaudois de géographie en décembre dernier. Il en ressort que deux tiers d’entre eux n’ont pas abordé le sujet de l’agression russe en Ukraine. «La plupart ne s’estiment pas assez informés ou mal à l’aise, car le sujet est trop émotionnel», relate le chercheur.

Sortir de l’ethnocentrisme

Hanna Perekhoda, chercheuse en sciences politiques à l’UNIL et membre du Comité Suisse-Ukraine, a rappelé l’importance dans l’enseignement de sortir de l’ethnocentrisme méthodologique de la vision occidentale, et d’expliquer aux étudiants que les mots et les symboles ne signifient pas la même chose ici et là-bas. «Les actions de Poutine sont à remettre dans le contexte d’un régime autoritaire affaibli de l’intérieur du fait de l’augmentation des inégalités sociales. La guerre permet de resserrer les rangs. De surcroît, le pouvoir russe utilise beaucoup le mot «fasciste» ou «nazi», mais ces mots n’ont pas le même sens qu’ici. Dans la tradition soviétique, cela signifie l’ennemi absolu, l’envahisseur. En Ukraine, la coalition des partis d’extrême droite n’a gagné que 2% des voix et le président est juif et parle russe. Aux étudiants, il s’agit de leur apprendre comment se renseigner, et où.» Pour la chercheuse ukrainienne, l’approche doit être non seulement sociologique, mais aussi historique. «Les relations entre ces deux pays font que c’est comme si la France recolonisait l’Algérie. Pour Poutine, l’indépendance de l’Ukraine était une erreur. Ce n’est pas un pays voisin, c’est un élément central, avec la Biélorussie, du récit national historiographique qui remonte au XIXe siècle. Il y a un potentiel génocidaire dans cette tentative de construire une nation homogène. C’est pourquoi la question de la langue prend des dimensions douloureuses, tout comme la culture. Si une statue de Tolstoï est vue ici comme un honneur à l’humanisme de l’écrivain, en Ukraine, c’est un marqueur de l’oppression coloniale russe.»

Hanna Perekhoda souligne aussi que nombre de Russes se battent contre la guerre, malgré la répression et les peines de prison. «Les expériences de résistance en Ukraine et en Russie sont inspirantes. Le travail des artistes, comme Alexander, peut aussi faire comprendre que nos droits ici sont essentiels, mais toujours fragiles. Il s’agit de veiller à l’obscurantisme et à la haine.» Et Alexander Chekmenev de conclure: «Nos ex-frères nous ont planté un couteau dans le dos, car on s’est tourné vers l’Europe. A travers mes portraits et les textes qui les accompagnent, je tiens à montrer la dignité et la détermination des citoyens ukrainiens. Chacune de ces personnes sont des héros. J’aimerais transmettre que ce n’est pas seulement une guerre entre deux armées, mais aussi une guerre d’une armée contre une population.»

Exposition Visages de la guerre / Faces of war
30 mars – 30 juin 2023, lundi à vendredi, 8h00–18h30, entrée libre.
Espace Points de suspension, HEP Vaud, avenue de Cour 33, Lausanne.

Site de l’artiste: alexanderchekmenev.com

Pour aller plus loin

Vaud: des députés mobilisés en faveur de la presse

La suppression de 28 postes dans les rédactions de Tamedia en Suisse romande, annoncée en septembre dernier par TX Group misant sur un plan d’économie de 3,5 millions de francs, n...

Un collaborateur de «L’ES» primé

Un homme avec une toute petite pancarte "Réduire" au milieu d'une manifestation.

Employé à temps partiel par L’Evénement syndical, le photographe Olivier Vogelsang a reçu le deuxième prix du prestigieux Swiss Press Photo dans la catégorie Actualité. L’image...

Presse militante = presse populaire!

Portrait de François Ruffin.

A l’occasion des 30 ans de «Démocratie & Socialisme», mensuel fondé par Gérard Filoche, un débat a été organisé à Paris sur la presse militante. Retour sur cet échange

Quel avenir pour la presse indépendante?

Le journal Pages de gauche organise une table ronde sur le thème de l’indépendance de la presse, ce vendredi à Morges. Quatre intervenants y prendront la parole avant un débat avec...