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Des sans-papiers dans les rouages du capitalisme

Dans son roman, «Une Suisse au noir», l’écrivaine fribourgeoise Isabelle Flükiger plonge dans les vies de personnes sans-papiers et dans la duplicité du système.

S’il se veut fictionnel, le roman Une Suisse au noir mêle habilement la vie d’une migrante camerounaise travaillant dans l’économie domestique et celle d’un jeune ouvrier marocain œuvrant dans la construction. Tous deux vivent en Suisse romande, sans statut légal. L’une fait partie des sans-papiers, l’autre est un requérant débouté. Ces deux personnages créés par l’écrivaine fribourgeoise Isabelle Flükiger pourraient tout aussi bien exister. Forte de nombreux témoignages, elle donne vie à Gloria et à Mohammed avec finesse et justesse, loin des clichés. Tout en plongeant dans leur existence, on découvre également la face sombre, les failles et les incohérences du système, des assurances maladie à l’AVS, en passant par les contrôles sur les chantiers, la sous-traitance et les faillites en cascades. Ne reculant ni devant des textes de loi ni des rapports administratifs complexes, l’écrivaine signe une enquête rigoureuse, documentaire, tout en emmenant le lecteur dans sa propre quête dans les coulisses d’un système inique.

Ce roman met en lumière celles et ceux qui sont exploités, des associations d’entraide, des inspecteurs de chantier, des entrepreneurs, des juristes… Christophe Tafelmacher, avocat spécialiste de la politique migratoire, signe la préface rappelant que la Commission sur le racisme a conclu, déjà en 2003, «au caractère discriminatoire de la politique d’immigration officielle». Résultat, 100000 à 200000 personnes travaillent en Suisse avec des salaires trop bas, dans des conditions difficiles. Elles vivent, sans droits ou presque, dans des logements loués par des «marchands de sommeil», parfois insalubres, souvent bondés et trop chers. Entre paradoxe et hypocrisie, elles ont le droit d’être assurées par les caisses maladie, mais nombre de celles-ci les refusent; par ailleurs, cotiser à l’AVS, à l’AI et aux assurances perte de gain leur est possible. En cas d’accident, la personne peut donc en théorie être protégée. Quant aux cotisations AVS, elle a la possibilité de les récupérer si elle quitte le pays. Toucher une rente ne lui sera possible qu’en cas de régularisation. 

Du besoin de main-d’œuvre
Gloria n’a jamais chômé, le marché de l’emploi a besoin d’elle. Même topo pour Mohammed, exploité dans un restaurant, puis sur les chantiers. Il est l’un des pions qui permettent aux entrepreneurs et aux sous-traitants de dégager cette marge qui fait marcher le système capitaliste. «Un entrepreneur me disait: “Si vous gagnez le mandat, vous ne dormez pas parce que vous êtes allé trop bas. Si vous n’obtenez pas le mandat, vous ne dormez pas parce que le concurrent l’obtiendra à 2% de différence”», relate l’écrivaine. Alors, pour s’en sortir, ce petit patron sous-traite à un peintre kosovar qui va, lui, sous-payer des travailleurs au noir…

Expliquant les rouages du système avec pédagogie, de sa plume alerte, Isabelle Flükiger dépeint un système injuste qui fluctue au gré des changements de loi, des motions absconses, des décisions absurdes. L’écrivaine questionne le système et la motivation de ces migrants à rester coûte que coûte. Pour certains, il y a la peur d’être emprisonné ou tué s’ils retournent dans leur pays d’origine. Pour d’autres, comme lui explique une personne active dans le milieu associatif: «Toute ta famille s’est ruinée pour que tu puisses partir… et toi, tu l’as fait, ce voyage impossible, tu es allé au bout de la peur et, parfois, de l’horreur… Maintenant, tout le monde au pays attend un retour sur investissement… Et toi, tu reviendrais les mains vides, encore plus démuni qu’avant, avec juste ces souvenirs dégueulasses pour vous payer de tous vos efforts ? Tu comprends, ici, au moins, ils ont l’espoir…» K

Une Suisse au noir, Isabelle Flükiger, Editions Antipodes, mai 2025. 

 

 

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