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Des chantiers sociaux pour se reconstruire

une homme en train de compléter la mosaïque
© Thierry Porchet

John Massaquoi est à l’œuvre sur la mosaïque en cours à Lausanne. Un des nombreux chantiers d’Embellimur.

A Lausanne, Yverdon et Genève, l’association Embellimur accompagne les personnes en précarité dans la valorisation de leurs compétences, notamment par la création de mosaïques.

«La mosaïque est une thérapie.» John Massaquoi enduit de ciment un petit morceau de catelle brune et le colle délicatement sur le long mur, en haut de la rue de la Borde, à Lausanne. La fresque représente les quatre saisons. «On a commencé il y a un an, mais je pense que d’ici à la fin de l’été, elle sera terminée. J’ai toute une équipe qui va me rejoindre ces prochains jours», explique le responsable de ce chantier social d’Embellimur. Cette association est née il y a quinze ans d’un rêve de Laurent Vuilleumier, ergothérapeute, celui de «lutter contre la problématique du vide occupationnel qui peut générer de lourdes pathologies».

John Massaquoi se souvient des tout débuts de l’association. «J’étais requérant d’asile à Gland, et j’ai vu arriver Laurent et ses camarades. Ils nous ont demandé: “Qui veut travailler?” Et je suis parti avec eux. Mon premier chantier de mosaïque était à Prangins et je n’ai plus arrêté.»

Depuis, trois lieux d’accueil ont vu le jour, à Lausanne, à Yverdon et, plus récemment, à Genève. Et le nombre de bénéficiaires s’est élargi, au point que ce sont près de 2000 personnes par semaine qui bénéficient de l’accompagnement des thérapeutes et des travailleurs sociaux d’Embellimur. Une mosaïque de participants, du monde entier et de tous âges, qui portent des histoires de vie difficiles et une richesse d’expériences pourtant si mal valorisée. «J’ai appris la patience grâce à la mosaïque, explique John Massaquoi. La rue est une grande école de vie. Je n’ai pas eu l’occasion d’étudier. J’avais 12 ans quand la guerre a éclaté dans mon pays, la Sierra Leone.» Assis à même le trottoir, il est concentré au point que les bruits de la circulation et de démolition juste en face ne le dérangent pas. «Je n’écoute pas de musique au casque, car je veux rester disponible pour les gens qui, chaque jour, s’arrêtent et me parlent. Je leur donne des conseils comme je peux. J’en connais aussi qui prennent de la drogue, mais je ne juge pas, on ne sait pas ce qu’ils ont vécu…»

Sur chaque œuvre réalisée par Embellimur, des collaborations prennent forme. Ici, c’est avec les bénéficiaires du Graap, le pôle jeunesse et les femmes de la Borde. Depuis un an, le chantier avance pièce par pièce, lentement mais sûrement. Pas un tag n’a été esquissé. «J’ai travaillé avec des tagueurs sur la mosaïque sous le pont Chauderon. On se connaît, on se respecte», sourit John Massaquoi.

Un homme sur une trottinette électrique passe et lâche, enthousiaste, en regardant la fresque: «C’est beau!» Un peu plus tard, au tour d’une cycliste de s’émerveiller. Et voici Mokhtar, 52 ans, exilé du Yémen, qui ne cache pas sa joie en voyant son ami John. Entre français et anglais, il promet de revenir le lendemain donner un coup de main et souligne: «Quand je fais de la mosaïque, j’entre dans un autre monde. J’oublie tout, je retrouve le sourire.»

 

Nourrir les corps et les âmes

Dans l’atelier d’Embellimur à Lausanne, en ce mercredi matin, la cuisine est en ébullition. Chaque jour, une centaine de repas sont offerts. Ce midi, c’est gratin de légumes, grâce aux invendus amenés par Table Suisse. Les deux prochains repas de la semaine sont déjà programmés: un plat kurde et un autre tamoul. Le voyage est garanti à Embellimur, qui nourrit les corps et les âmes. «La parole se libère dans l’activité. Au fil du temps, c’est beau de les voir s’ouvrir aux autres», explique Gabrielle Winkler, ancienne policière de proximité reconvertie en coordinatrice du lieu, qui accueille les personnes au bénéfice d’ordonnance pour de l’ergothérapie sociale, thérapie axée sur les gestes de la vie quotidienne.

Certains s’affairent aux tables de mosaïque, une femme coud, une autre coiffe une compatriote, un couple côte à côte boit simplement un café. Il y a aussi des joueurs de domino et ceux qui s’entraident pour comprendre un courrier administratif. Une friperie est à disposition. En plus des chantiers de mosaïque, d’autres activités hors les murs, telle la construction d’un mur de pierres sèches du côté de Sainte-Croix, sont aussi régulièrement proposées. Par ailleurs, une chorale chante chaque semaine…

 

Briser la solitude

Aujourd’hui, Larina Stocker, ergothérapeute, coordonne le repas et met la main à la pâte: «Au travers d’activités qui ont du sens, on travaille la confiance, l’estime de soi, la santé mentale. L’ergothérapie se retrouve à tous les niveaux de la pyramide de Maslow. Bien manger, être dans un lieu sûr permet aussi de mieux dormir, de prendre moins de médicaments, d’éviter des hospitalisations…» 

Lutter contre l’injustice occupationnelle et la solitude se trouvent au cœur de la mission d’Embellimur. La jeune thérapeute se souvient de cette personne qui, un jeudi matin, a fondu en larmes quand on lui a dit: «Bonjour.» «Depuis le début de la semaine, c’était la première fois que quelqu’un lui parlait…»

Larina Stocker souligne la volonté généralisée des bénéficiaires de s’insérer dans la société. «Le gros frein reste la question des permis de travail et de séjour. Dès lors, beaucoup cumulent une précarité financière, sociale, mais aussi un trauma migratoire.» Alors l’association Embellimur offre ce qu’elle peut pour restructurer la vie quotidienne, garantir un environnement social et physique sécurisant et valorisant, favoriser un premier pas pour améliorer le français, voire trouver du travail ou étudier. Ehsanullah est un exemple d’intégration. Après quatre ans en Suisse, il étudie à la Haute école d’études sociales. «J’espère devenir travailleur social, explique l’Afghan de 28 ans. Dans mon pays, j’étudiais le droit. A Embellimur, je peux me rendre utile, car je connais plusieurs langues. Je ne connais pas de lieu plus accueillant que celui-ci.» 

A l’heure du repas, Fatou Conte déguste ce qu’elle a aidé à préparer: «Ici, c’est agréable. On mange bien et on discute.» A la même table, Barrow, à l’aide d’urgence depuis des dizaines d’années, soupire: «La vie, c’est compliqué. Je n’ai pas le droit de travailler. Mais si tu restes tout le temps à la maison, tu deviens fou, tu prends des médicaments… Ici, je fais la mosaïque, le maçon, la peinture, le jardin… Ça donne le moral.» 

Plus d’informations: embellimur.ch

Des mesures pour embellir la vie

A quelques pas d’Embellimur, un autre atelier, plus petit, accueille des personnes en mesure d’insertion sociale (MIS). Ils sont en train de réparer des chaises et des vélos dans le cadre de l’association sœur baptisée Embellimesure. Celle-ci fait partie du catalogue des mesures d’insertion sociale (MIS) pour les personnes au Revenu d’insertion (RI). Les stages durent six mois, sont renouvelables et le pourcentage de travail s’adapte aux capacités de chaque personne. Certains bénéficiaires sont en attente de l’AI ou d’une rente-pont. Stéphane Roten, maître socioprofessionnel, tapissier-décorateur de métier, veille sur le bien-être de toutes et tous: «On accueille les personnes là où elles en sont et on avance à leur rythme jusqu’où elles peuvent. L’objectif est qu’elles retrouvent le plaisir de faire et de partager. Il n’y a pas de grandes paroles, mais des activités qui font du bien. On valorise les objets comme les personnes.» Attentif à ne pas faire concurrence aux tapissiers, l’atelier Embellimesure ne prend pas de commande. «Par ailleurs, ce serait un contre-sens à notre mission, car cela impliquerait un délai, du stress, une attente du client… Notre mesure fait partie de la prévention, car elle évite des hospitalisations et aussi des coûts pour la société.»

Le 1er Mai, à la Maison du peuple, une quarantaine de petits meubles ont trouvé preneur lors d’une vente aux enchères. «J’étais super étonné que mon étagère soit vendue», sourit Jean-Pierre, Veveysan de 54 ans. «Travailler le bois me plaît beaucoup. Là, je suis en train de réparer un fauteuil qui a appartenu à mes parents. Je vis dans un studio et c’est la seule chose que j’ai donc pu garder lorsqu’ils sont décédés. Venir ici me permet de faire quelque chose. J’étais mécanicien sur auto, puis chauffeur-livreur, mais j’ai de gros problèmes de dos…»

A la table d’à côté, pinceau à la main, Safwan Janou, 57 ans, Syrien, est enthousiaste: «J’aime beaucoup venir ici, où j’ai recommencé à créer.» Peintre de métier, il dessine la dame de cœur sur une chaise restaurée… Tout un symbole.

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