Au terme de trois ans d’engagement humanitaire en Colombie, le Valaisan François de Riedmatten revient sur son travail de coopérant. Et la puissance de l’espérance.
Retour au calme. A une certaine normalité. Après trois années passées à Bogota, en Colombie, le Valaisan François de Riedmatten, rentré à Sion, apprécie de renouer avec sa culture et davantage de sérénité. Une respiration bienvenue au terme d’un engagement exigeant. Dans un environnement marqué par la misère, la violence, la précarité. L’ancien journaliste de 42 ans, titulaire d’un master en sciences économiques et sociales, sociologie de la communication et des médias, philosophie et économie politique, a mis ses compétences au service de l’association Casitas Biblicas. Implantée dans les quartiers défavorisés au sud de la capitale, cette structure propose des activités socio-culturelles, des formations, de l’accompagnement et du renforcement scolaire à quelque 250 participants. Le coopérant l’a aidé à développer sa communication et sa visibilité. Il l’a épaulée dans sa mission éducative et de paix. Tout en s’adaptant à un quotidien fluctuant plus souvent qu’à son tour. «Un jeune peut fréquenter le centre un certain temps puis disparaître, son père décidant qu’il doit aller travailler», illustre par exemple François de Riedmatten non sans rappeler la situation qui prévaut dans un pays continuant à panser ses plaies après des décennies d’affrontements armés impliquant différentes guérillas.
Terrain mouvant
«Le contexte se révèle fragile, le fossé entre riches et pauvres ne cesse de se creuser. Il n’y a quasi pas de classe moyenne. On évolue en terrain mouvant», témoigne le quadragénaire évoquant le climat d’insécurité caractéristique de certaines zones de la mégapole entre pauvreté, drogue, prostitution, etc. sur fond d’injustices criantes. «Il faut bien connaître Bogota. Sentir le vent tourner. D’une rue à l’autre tout peut basculer. Il est parfois nécessaire de prendre un taxi sur un trajet de 300 mètres plutôt que de se mettre en danger avec un dollar invisible collé sur le front en tant qu’Européen.» Un cadre qui n’a pas découragé le Valaisan solidaire. L’homme a voyagé aux quatre coins de la Terre. Et trouve aussi dans le mouvement, voire l’instabilité, une manière de «ne pas s’assoupir, de se maintenir vivant.» Tout en gardant son aptitude à s’indigner intacte, nourrissant une juste révolte. «Comment admettre que des enfants ne puissent aller à l’école en toute sécurité? J’ai été à Bogota confronté à tellement de misère. Une claque énorme. Les mots ne suffisent pas à la retranscrire. Même des maisons s’effritent», raconte l’homme précisant que les inégalités ne se limitent pas aux différences de moyens financiers.
Transformer la boue en or
«L’argent ne représente que la pointe de l’iceberg. Les injustices se glissent dans toutes les strates du système éducatif, de la santé, etc. alors que les personnes rêvent seulement de pouvoir vivre dignement.» Une réalité brutale non dénuée d’espoir, de cette «esperanza» plus forte que tout, agissant comme un phare susceptible d’éclairer un horizon meilleur. François de Riedmatten insiste sur la richesse du partage et des échanges qui ont donné de l’étoffe à son séjour. Il note, admiratif, le sens de la communauté prévalant dans cette société sud-américaine «où les parents âgés restent à la maison, ils ne sont pas parqués dans des homes». Et mentionne la faculté des Colombiens à exprimer leurs émotions dans un Etat engagé dans un long et difficile processus de paix et de réconciliation après avoir été déchiré par d’interminables conflits fratricides. «On rit et pleure beaucoup dans ce pays, on parle volontiers de sa souffrance. On cherche à être heureux malgré les antécédents, à transformer la boue en or», raconte le Sédunois qui, en dépit des épreuves auxquelles il a été confronté dans sa vie, a lui aussi gardé sa capacité à s’émerveiller. A maintenir son aptitude à l’optimisme. «J’aime les gens», se justifie-t-il presque, trouvant dans l’engagement une réponse à «un monde toujours plus violent, plus dur». «J’essaie d’être la meilleure personne possible. De faire ma part», confie-t-il d’une voix douce, se référant à la légende amérindienne du colibri. Ce minuscule oiseau qui transporte dans son bec quelques gouttes d’eau pour éteindre un gigantesque incendie sous l’œil dubitatif d’autres animaux atterrés et terrifiés.
Devoir d’agir
«Je mesure ma chance d’être né en Suisse, d’avoir eu accès à l’éducation, aux soins etc. Je bénéficie de tous les privilèges», ajoute le Valaisan comme s’il avait dès lors le devoir d’agir. Et se souvenant encore au passage avoir beaucoup pleuré à son départ de Bogota à la vue d’une gamine qui jouait dans la rue avec trois fois rien. Une image qui, en dépit de sa récurrence sur les routes du globe, ne lasse pas de titiller l’hypersensibilité de François de Riedmatten. Un trait de personnalité qu’il canalise aussi en se ressourçant dans des balades en nature, auprès d’amis ou en pratiquant méditation et yoga. Sans oublier l’humour. L’ancien journaliste – qui a travaillé plusieurs années pour le quotidien valaisan Le Nouvelliste – s’est aussi fait connaître sur la chaîne de télévision locale Canal 9. Avant de devenir présentateur, il y animait une mini-série à succès, «Champion», où le cadre du football servait de prétexte à une émission satirique sur le canton. Un épisode en résonance avec le parcours professionnel du Valaisan, entamé au théâtre.
Au terme de ses études universitaires, le Sédunois a en effet suivi l’école Serge Martin à Genève et gagné ses premiers salaires en montant sur les planches. Un art avec lequel il pourrait bien renouer. Mais dans un premier temps, il s’accorde une pause avant de passer l’hiver en Thaïlande où il travaillera comme moniteur de plongée. L’an prochain, François de Riedmatten envisage de reprendre une formation pour se spécialiser dans la médiation et la gestion de conflits. «Il me faudrait plus d’une vie pour réaliser tous mes rêves», conclut le jeune quadragénaire puisant son énergie dans une volonté d’humanité partagée...