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Cupideflation

Et si l’inflation était (en bonne partie) une farce dont nous serions les dindons? Depuis deux ans, l’économie mondiale subit des pressions inflationnistes qui ont débuté, rappelons-nous, avec ces ruptures de chaînes d’approvisionnement provoquées par la pandémie. Et se sont poursuivies par le retour en force de la consommation après les confinements, puis par les perturbations liées à la guerre en Ukraine, notamment sur les cours des énergies. Il existe toutefois un autre facteur d’inflation, dont on parle moins: la greedflation («cupideflation»). Nombre de grandes sociétés ne se sont en effet pas contentées d’aligner les prix sur la hausse des cours des matières premières, elles les ont poussés bien au-delà, alimentant en retour le renchérissement. Et elles ne sont pas revenues à leurs prix antérieurs lorsque les chaînes logistiques ont été rétablies ou quand le cours du pétrole est redescendu. C’est que, à force de concentration, beaucoup de secteurs sont des oligopoles ne permettant pas à la concurrence de jouer un rôle déflationniste. Cette inflation alimentée par la recherche de profit des entreprises serait à l’origine de la moitié des hausses de prix dans les pays développés. Ce n’est pas l’économiste d’Unia qui l’affirme… mais le chef économiste chez UBS Wealth Management, Paul Donovan.

Les bénéfices des entreprises par conséquent explosent et, avec eux, les dividendes versés aux actionnaires. Ils ont atteint un record dans le monde en 2022, 1560 milliards de dollars. Record en Suisse également, où quelque 52 milliards de francs vont être distribués cette année aux détenteurs d’actions. «Quelque chose est cassé», souligne dans une note le global strategist de la banque Société générale, Albert Edwards. «Nous assistons peut-être à la fin du capitalisme.» Si seulement!... L’économiste britannique s’est fait une petite réputation en pronostiquant l’effondrement des valeurs technologiques intervenu en 2001, puis celui des subprimes en 2007. Cette fois, il annonce que ces marges exceptionnelles réalisées sur le dos de la population pourraient «provoquer des troubles sociaux». On espère bien!... «Il s'agit d'un problème majeur pour les décideurs politiques, qui ne peut plus être ignoré.»

Albert Edwards et d’autres économistes, comme le Nobel Paul Krugman, proposent dès lors d’instaurer un contrôle des prix. De quoi faire hurler les libéraux orthodoxes. Mais s’il s’agit de sauver le capitalisme, ils pourraient se laisser convaincre. Il faudrait aussi attaquer le mal à sa racine en intervenant dans ces secteurs où une poignée d’entreprises en situation de quasi-monopole peuvent dicter leurs conditions au plus grand nombre. Par exemple l’agroalimentaire, le commerce de détail, les énergies ou la pharma. On devrait également, comme le demande Unia, compenser pleinement le renchérissement. Les salaires réels ont reculé de 1,9% en Suisse l’an dernier et ne sont pas la cause de l’inflation. Enfin, il ne serait que justice de taxer un tant soit peu davantage les revenus des actionnaires. Genève, canton qui abrite le plus de milliardaires, vote justement le 18 juin sur une contribution de solidarité sur les grandes fortunes.