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Comment travailler dans le respect des limites planétaires?

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© Olivier Vogelsang / archives

Le 9 avril 2022, dans plusieurs villes de Suisse, la Grève pour l’avenir avait réuni les mouvements climatiques, féministes et syndicaux autour du thème de la réduction du temps de travail.

A Lausanne, Bienne et Martigny, trois psychologues en orientation professionnelle proposent des ateliers pour trouver un sens à son travail au regard de la crise environnementale

«Donner du sens et trouver sa voie professionnelle dans les limites planétaires», telle est la mission que se sont donnée trois psychologues en orientation professionnelle, Aline Muller Guidetti, Sophie Perdrix et Sabrina Tacchini. De leur sensibilité à l’urgence environnementale et de leur besoin de cohérence entre vie professionnelle et valeurs écologiques et sociales est né un projet unique en Suisse romande. Depuis 2021, elles proposent des ateliers d’orientation et de transition professionnelle qui incluent la notion de durabilité, à Lausanne, à Bienne et à Martigny. «Il est nécessaire de changer nos modes de vie afin de prendre soin de soi et de la planète», indiquent-elles sur leur site «Slow ta carrière» (littéralement: Ralentis ta carrière). Le programme s’adresse à celles et ceux qui s’interrogent sur leur rapport au travail, le sens donné à leurs pratiques et à leur compatibilité avec la protection du «Vivant». Conférence, atelier découverte, bilan d’orientation verte, plusieurs formules sont proposées. La démarche est aussi bien individuelle que collective, car elle porte sur la connaissance de ses propres valeurs en écho au bien commun. Les pistes de transition verte et les enjeux collectifs du travail et de ses transformations, notamment celles de la décarbonation des activités, sont abordées. «Nous pensons que le groupe est une force pour nourrir les projets de chacune et chacun et un moteur pour oser se lancer dans des actions et des modes de vie résilients», précisent encore les précurseures. Rencontre avec l’une d’elles, Sabrina Tacchini.

Qu’est-ce qui vous a menée à mettre sur pied de tels ateliers?

Conseillère en orientation, je me questionnais, depuis un certain temps, sur cet impératif sociétal qui demande aux personnes au chômage de trouver rapidement du travail, quel qu’il soit, coûte que coûte. Et ce, pour servir le Capital. En 2020, j’ai rencontré Aline Muller Guidetti et Sophie Perdrix, et l’on a voulu thématiser dans notre pratique l’éco-lucidité, terme que nous préférons à l’éco-anxiété. Car loin d’être une pathologie, c’est plutôt une preuve de bonne santé.

Y a-t-il un profil type des participants?

Les deux tiers des personnes sont des femmes, très concernées par le climat et très informées sur notre impact environnemental. Elles ont de 18 à plus de 50 ans, et viennent de professions de secteurs différents, du social à l’informatique. Leur formation va de l’apprentissage à l’université, mais elles ont majoritairement suivi des études supérieures. Souvent elles souhaitent s’engager dans la protection de la nature, dans la permaculture, le maraîchage. On leur rappelle que les métiers de la transition sont aussi ceux des soins aux autres, des services, de la boulangerie à l’hôpital… Plus généralement, nous sommes ouvertes à toute personne qui se questionne sur le sens de son travail face à l’urgence climatique. Suivant les situations, les assurances sociales et les mesures d’insertion font aussi appel aux interventions de «Slow ta carrière»!

Que leur apportent ces ateliers?

C’est très variable bien sûr. Certains participants décident de se former, de remettre en question leur temps de travail, ou alors réalisent qu’ils sont déjà dans des métiers dit «verts», mais que les conditions ne le sont pas. Il s’agit alors de voir comment changer son poste de l’intérieur, comment appliquer des mesures de durabilité qui tiennent compte de la justice sociale et environnementale, les deux faces d’une même médaille. Plus qu’une transition, il s’agit d’une transformation de la manière de faire son travail.

Ces ateliers vous ont-ils aussi conduite à une transition dans votre manière d’exercer?

En orientation professionnelle, classiquement, on travaille peu en groupe et on pense peu aux conséquences sur autrui de son choix vocationnel. C’est très égocentré en fonction de ses envies ou de ses compétences, et très influencé par le marché de l’emploi. Dans «Slow ta carrière», on questionne nos désirs, le sens de notre travail, mais aussi les besoins des écosystèmes et de toutes les formes de vie sur Terre. Personnellement, j’ai changé ma manière de travailler et repris des études. Ma thèse se penche justement sur les changements de pratique professionnelle.

Comment imaginez-vous le monde du travail de demain?

Dans mes jours optimistes, je fais le pari d’une réelle transition qui permette de redéfinir les métiers essentiels et de décentraliser la place du travail. La plupart du temps, je me demande quand le mur va arriver. Plus largement, je pense qu’une réflexion sur les métiers dont on a réellement besoin, ainsi que sur leur cadre économique, est urgente. Le Covid a permis un début de questionnement sur le sens au travail, à produire toujours plus, à consommer… Mais la machine a redémarré et l’agitation a repris. Il s’agit aujourd’hui de ralentir et de réfléchir collectivement.

Plus d’informations sur: le-bon-sens.ch

Témoignage: «Pourquoi continuer à travailler pour un système qui ne sert qu’à enrichir les plus riches?»

Sur le point de terminer une série d’ateliers de «Slow ta carrière», Loïc Volery accepte de témoigner de sa démarche pour faire avancer la réflexion sur le travail et remercier toutes les personnes qui ont participé à ce programme d’orientation pas comme les autres. Il revient sur son parcours: un apprentissage de médiamaticien, un job dans une grande boîte de télécommunication, le service militaire, un séjour à l’étranger, des études en économie à la Haute Ecole de gestion de Fribourg, puis un poste dans le marketing, jusqu’à ce que des problèmes de santé le contraignent à tout arrêter. «Cet arrêt maladie m’a permis de me poser des questions sur mon rapport au travail et à la santé, et sur le culte de la performance. Jusque-là, je ne m’étais pas vraiment interrogé sur le sens de mon activité. Je suivais le mouvement... Mes réflexions m’ont amené à faire des liens entre l’organisation actuelle du travail rémunéré, le capitalisme, l’exploitation du Nord sur le Sud, et des ressources. Je me suis rendu compte que tout était lié. Puis, la crise écologique est venue se greffer à cette réflexion globale…» raconte-t-il. Commence alors pour le jeune homme de 27 ans une déconstruction de son rapport au monde. «Venant du secteur de l’économie, je croyais au mythe de la croissance verte, aux innovations technologiques qui allaient nous sauver. En creusant le sujet, en m’intéressant aux neuf limites planétaires, à la grande accélération et aux pensées et modèles économiques hétérodoxes, comme la théorie de la décroissance et du Donut (modèle prônant une économie plus humaine, ndlr), je me suis rendu compte que c’était impossible et qu’un changement dans notre système économique et dans l’organisation de notre société était nécessaire. Face à ce vertige, j’ai également remis en question la valeur Travail, car je ne pouvais plus imaginer bosser pour de grandes multinationales ou pour des entreprises ayant le profit comme unique objectif, par exemple.» Ce travail d’orientation entamé seul se poursuit avec une coach, puis par les ateliers «Slow ta carrière» d’octobre à aujourd’hui. «Ce soir, c’est la dernière rencontre. J’ai adoré me retrouver avec des gens d’horizons différents, qui se posent les mêmes questions que moi. Car même si je suis bien entouré, je me sens parfois incompris. J’aimerais donc adresser un grand merci à Sabrina et aux quatre participantes qui m’ont accompagné: c’était vraiment très enrichissant!» Grâce au programme de «Slow ta carrière» qui conjugue exercices, discussions et informations, Loïc Volery a approfondi sa quête sur ses valeurs, ses compétences et ses possibilités de les utiliser dans des métiers s’inscrivant dans la transition verte. «Le cadre des ateliers est bienveillant, on peut parler de choses très personnelles, car les participants sont à l’écoute et une relation de confiance se crée. Certains ont clarifié leur orientation. Pour ma part, je suis dans une phase où mes perspectives, et mes questionnements, continuent de s’ouvrir. Je sais que c’est très difficile de pouvoir prendre du recul quand on doit payer ses factures à la fin du mois. Mais pourquoi continuer à travailler pour un système qui ne sert qu’à enrichir les plus riches, et à creuser les inégalités tout en détruisant la Terre?» Loïc Volery envisage un complément de formation pour s’orienter vers l’accompagnement aux personnes, dans la facilitation ou la médiation. Parallèlement, le domaine de la recherche et de la transmission l’intéresse aussi beaucoup. «J’aimerais connecter tout ça dans un cadre interdisciplinaire. Peut-être un job à inventer?»

 

femme et homme
Rencontre avec la psychologue Sabrina Tacchini et Loïc Volery, l’un des participants aux ateliers «Slow ta carrière».

 

La transition écologique au cœur de l’OSEO

Dans le cadre de la célébration de ses 30 ans, l’Œuvre suisse d’entraide ouvrière (OSEO) organise un colloque gratuit intitulé Transition écologique et insertion dans un monde aux ressources limitées: état des lieux et perspectives, au Forum Emmaüs à Saint-Légier et en ligne* le jeudi 23 mars dès 13h30. Plusieurs personnes interviendront, dont Stéphane Genoud, professeur à l’institut Energie et Techniques environnementales de la HES-SO Valais, et Jessica Ruedin, déléguée à la durabilité de la Ville de Vevey. Ainsi qu’Elena Giotto, cheffe de projet à l’Etat de Vaud, qui s’exprimera sur le revenu de transition écologique comme vecteur d’intégration socioprofessionnelle, et la psychologue Sabrina Tacchini.

*En streaming dès 13h30 (sans inscription): oseo30.mykistudio.ch

et en différé dès le 4 avril sur la chaîne YouTube de l’OSEO Vaud.

Plus d’informations sur: oseo-vd.ch/news/30-ans-1-1

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