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Un été à l’usine

Portrait de Thomas Flahaut.
© Patrice Normand

«Mon ouvrage est aussi un moyen de montrer le capitalisme tel qu’il se présente aujourd’hui, ainsi que la précarité et les modes de vie qu’elle induit» indique Thomas Flahaut.

Le roman "Les nuits d’été" de Thomas Flahaut nous emmène au cœur du destin d’ouvriers frontaliers

Durant ses pérégrinations littéraires, le lecteur a parfois à se souvenir d’un nom. Tel est le cas en lisant Les nuits d’été de Thomas Flahaut. Thomas Flahaut, ce jeune écrivain né en 1991 à Montbéliard, a la plume agile ainsi que le sens du romanesque. Dans son dernier ouvrage, il raconte l’existence de jeunes ouvriers français travaillant dans les usines du Jura suisse, expérience qu’il a lui-même vécue. Tout y est question d’écarts et de démarcations entre générations, milieux sociaux, culturels… Interview d’un auteur inspiré par la question sociale.


Vous êtes issu d’une famille d’ouvriers. Ecrire ce livre, est-ce une façon de rester fidèle à ce milieu?

Avant tout, il y a plutôt des obsessions qui me taraudent, des questions qui me travaillent en tant qu’homme. La fiction, c’est mon moyen de tourner autour de ces interrogations. Dans ce roman, je ne voulais pas simplement faire le coup du transfuge de classe qui écrit son autobiographie. A ce sujet, bien qu’être un transclasse soit très répandu, il y a beaucoup de livres. Mon but était plutôt de raconter les destins de jeunes ouvriers qui étaient mes amis – j’aurais pu être un de ces personnages. Quoiqu’on dise parfois le contraire, je ne crois pas que, ces dernières années, la littérature s’intéresse vraiment plus à ces existences. On ne s’y intéressa jamais assez.

Mon ouvrage est aussi un moyen de montrer le capitalisme tel qu’il se présente aujourd’hui, ainsi que la précarité et les modes de vie qu’elle induit. En outre, pour le public suisse, je voulais donner à lire le vécu de frontaliers, un point de vue jamais représenté dans le débat sur ces questions qui est souvent contaminé, d’une façon étouffante, par l’imaginaire et la rhétorique de l’extrême droite. Du fait de ma trajectoire et de mon positionnement à cheval sur la frontière, entre Paris et la Suisse romande, je peux opérer un pas de côté.

Dans ces usines jurassiennes, on a justement l’impression en vous lisant qu’il s’est établi un rapport dominants-dominés entre les Suisses et les frontaliers. Est-ce vraiment le cas?

Oui. La division du travail en fonction des hiérarchies et des compétences correspond à une forme de division nationale et aussi genrée du travail. Il s’agit de l’usine que j’ai connue, qui n’embauchait la nuit que des jeunes hommes français. Pour mes amis, la Suisse fait figure d’eldorado, même si les paies commencent de plus en plus à ressembler au salaire minimum français. Pour ma part, j’étais payé 2500 francs par mois en travaillant de nuit. Du côté du patronat, c’est une course au moins disant social, c’est évident. Et peu de choses la freinent, il me semble.

Votre livre décrit deux générations d’ouvriers: celle des parents, puis celle des enfants. A l’épreuve du temps, le lecteur peut ressentir un sentiment de déclin de la catégorie sociale à laquelle ils appartiennent. A quoi l’attribuez-vous?

C’est compliqué. Tout d’abord, je me méfie des discours déclinistes faisant état de l’effacement de la conscience de classe. Ce que je veux signifier est qu’une bonne partie du vocabulaire issu de l’histoire du mouvement ouvrier n’est plus opérante. Cela ne produit guère les mêmes émotions qu’auparavant. D’une certaine manière, la conscience de classe a muté. Elle existe autrement. Car le travail et la société ont changé. En termes de catégories socioprofessionnelles, les employés et les ouvriers ne sont plus les mêmes qu’il y a quarante ans. Pour ma part, je n’aurai jamais les mots d’Aurélie Filippetti (politicienne française et romancière, ndlr) intitulant son livre Les derniers jours de la classe ouvrière. De mon côté, le point de vue, avec lequel j’écris, implique la prise en compte de ces existences et je me demande comment représenter leur vie. Aujourd’hui, selon moi, le prolétariat est plutôt dans les agences d’emploi, les entrepôts d’Amazon ou au sein des secteurs exploitant des travailleurs au noir.

Vous insistez également sur les clivages liés aux différences de statuts entre les fixes et les intérimaires. Les avez-vous ressentis fortement lors de votre passage à l’usine?

A la pause, il y avait le groupe des jeunes – donc des intérimaires – et celui des plus âgés. Ayant précédemment milité avec des camarades qui avaient l’âge de mes grands-parents, cela me semblait étrange. Pour ma part, je pouvais me sentir très proche de personnes qui avaient 30 ou 40 ans de plus que moi. Là, c’était la division. Les intérimaires avaient des ressentiments envers les fixes.

Il y a aussi la question des objectifs. Dans votre ouvrage, les patrons fixent des objectifs inatteignables. C’est un peu Machiavel à l’usine…

Effectivement. Lors de mon arrivée à l’usine, je vois, en premier lieu, cette courbe de production toute droite. Un collègue me dit: «T’en fais pas. Tu l’atteindras jamais.» Autrefois, il y avait des chronomètres… Aujourd’hui, l’illusion de l’autonomie au travail – avec un opérateur seul avec sa machine – constitue un puissant moyen de contrôle. Les objectifs ne peuvent être atteints. L’individualisation du travail renforce la culpabilisation.

Votre roman montre également avec force que le rapport aux origines pour les enfants d’ouvriers est sans cesse rempli de désarroi. S’ils quittent le quartier, le milieu social, un sentiment de trahison les hante. S’ils y restent, cela est vécu comme un échec…

C’est en effet ce que je voulais illustrer. La trahison, on vous la fait aussi ressentir. L’environnement de l’enfance constitue une forme d’aimant et de repoussoir. J’ai à la fois l’impression de ne plus en faire partie et celle de ne pas être complètement intégré ailleurs.

Couverture du livre.
Thomas Flahaut, Les nuits d’été, Editions de l’Olivier, 2020.

 

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