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Turquie: face à Erdogan, la riposte populaire et syndicale s’organise

Turquie
© Keystone/Francisco Seco

Le 29 mars, une marée humaine a déferlé dans le quartier de Maltepe, à Istanbul. Les manifestants répondaient à l’appel du CHP, le principal parti d’opposition, dont le leader Ekrem Imamoglu, maire d’Istanbul, a été incarcéré dans l’attente d’un procès pour corruption présumée.

En emprisonnant son rival Ekrem Imamoglu, Recep Tayyip Erdogan a déclenché un puissant mouvement populaire. Au-delà du parti du maire d’Istanbul, de nombreuses composantes sociales et politiques vont devoir se structurer et se coordonner pour peser.

Le 29 mars, plus de deux millions de citoyens turcs* sont rassemblés dans le parc de Maltepe, à l’est d’Istanbul. A pied, en métro et même en bateau, ils ont parfois mis plusieurs heures pour rejoindre cet immense polder édifié pour accueillir les meetings du président Recep Tayyip Erdogan. Ils répondent cette fois à l’appel du CHP, le principal parti d’opposition (centre-gauche) dont le leader Ekrem Imamoglu, maire d’Istanbul, a été interpellé le 19 mars, puis incarcéré dans l’attente d’un procès pour corruption présumée. 

Recep Tayyip Erdogan, 71 ans dont 22 passés à la tête du pays, entend ainsi écarter son principal rival à l’élection présidentielle de 2028 et prolonger indéfiniment son règne. 

Ce «coup d’Etat civil» du dirigeant islamo-conservateur a déclenché le plus grand mouvement populaire depuis la révolte de Gezi en 2013. Les citoyens turcs sont massivement descendus dans les rues d’Istanbul, d’Ankara et de nombreuses villes du pays. 

Entrée en territoire inconnu

«Nous ne pouvons plus jouer selon les règles d'Erdogan, nous devons maintenant remettre en question tout le jeu», lance Kivanç Eliaçik, responsable des relations internationales de la confédération progressiste DISK qui souligne l’importance de la mobilisation malgré la répression. «Certains dirigeants syndicaux ont été arrêtés lors des manifestations, mais malgré cela, des travailleurs d’un grand nombre de secteurs continuent de rejoindre le mouvement.»

Au total, près de 2000 manifestants et activistes ont été arrêtés depuis le 19 mars, dont de nombreux étudiants qui sont à l’avant-garde de la révolte. «La Turquie entre en territoire inconnu. Une ligne a été franchie à la fois par Erdogan et l'opposition», soutient Yusuf Can, coordinateur pour le programme consacré au Moyen-Orient du Wilson Center basé à Washington. Jamais Erdogan n’avait attaqué aussi frontalement le parti kémaliste fondé par Atatürk, l’artisan de la Turquie moderne. De son côté, le CHP est forcé de sortir de sa posture électoraliste et modérée pour se rapprocher des forces qui soutiennent la démocratie turque dans la rue et dans les amphithéâtres.

Appels à la grève

A Istanbul et à Ankara, ainsi que dans plusieurs autres métropoles, les étudiants se sont mis en grève et ont formé un comité de coordination: «En se présentant sous un front uni, ils montrent leur force et leur solidarité. Mais ces manifestations ne peuvent pas être menées uniquement par les étudiants. Les partis d'opposition, notamment le CHP, doivent intensifier leur engagement et se coordonner davantage avec les étudiants», continue Yusuf Can. 

L’arrestation d’Ekrem Imamoglu a entraîné la condamnation immédiate des partis et des syndicats de gauche, ainsi que de nombreuses organisations professionnelles et associations qui ont signé un appel visant à défendre «le travail, la démocratie et la république». Le 25 et le 28 mars, deux courtes grèves de solidarité ont été organisées respectivement par des enseignants du supérieur et par des sections de la confédération progressiste DISK. 

Des appels de plus en plus insistants à la grève générale se sont fait entendre dans les cortèges et sur les réseaux sociaux. «Il y a cependant de sérieux doutes que les travailleurs participent massivement à ce type de grève», affirme Uraz Aydin, membre du comité central du Parti ouvrier de Turquie (TIP) et du syndicat enseignant Egitim-Sen, pointant du doigt le faible taux de syndicalisation et l’orientation conservatrice de plusieurs grandes confédérations qui contrôlent des secteurs clés comme les transports publics. 

Stopper les achats

«Faire grève peut aussi constituer un sérieux risque de perdre son travail, étant donné que les lois, ou même la Constitution, ne signifient plus rien dans ce pays. Depuis plusieurs années, chaque grève est interdite, car elle porterait atteinte à la sécurité nationale», souligne le syndicaliste, qui souhaite une expansion des comités de coordination dans les quartiers et les entreprises. 

Une initiative citoyenne relayée par le CHP prend aussi de l’ampleur: le boycott des entreprises proches du pouvoir. Dans la liste se trouvent des médias progouvernementaux, des chaînes de cafés ou de restaurants, des librairies, des banques, des centres commerciaux, etc. A défaut de grève ouvrière, une grève de la consommation semble envisageable et pourrait ébranler les soutiens du régime. Un premier appel a déjà été lancé sur internet pour le 2 avril. «On peut imaginer stopper tous les achats un jour chaque semaine pour ralentir l'économie. L'impact sera à suivre, car rien de tel n'a été entrepris en Turquie, du moins pas à cette échelle», note Yusuf Can. 

* Chiffre du parti CHP.

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