La Grève pour l’avenir, qui réunit les mouvements climatiques, féministes, syndicaux et associatifs, appelle à manifester le 9 avril pour une réduction du temps de travail sans baisse de salaire
«Travailler moins pour polluer moins et vivre mieux!» Le message de la Grève pour l’avenir sera au cœur des manifestations prévues le 9 avril à Lausanne, Genève, Neuchâtel, Berne, Zurich, Delémont, entre autres lieux. Depuis l’été 2019, l’alliance réunit la Grève pour le climat, la Grève féministe, des syndicats, des ONG et des associations, car justice climatique et justice sociale sont indissociables. Une pandémie, une journée d’actions et de nombreuses réunions plus tard, une nouvelle mobilisation se prépare avec pour objectif de thématiser la réduction du temps de travail sans perte de salaire. Une mesure présentée comme sociale, féministe et écologique, car elle permettrait un meilleur partage des richesses et des emplois, une conciliation harmonieuse entre vie privée et vie professionnelle, davantage de temps libre pour des activités socialement et écologiquement utiles, une diminution du stress dont le coût chaque année se monte à plusieurs milliards de francs pour les entreprises (7,6 milliards de francs, selon le Job Stress Index 2020)...
Partage plus égalitaire
Au niveau romand, lors d’une conférence de presse organisée à la Maison du peuple à Lausanne, le 22 mars, Emma Schneider du collectif fribourgeois de la Grève féministe rappelle que le travail reproductif, la charge mentale et familiale représentent quatre heures par jour. Autant de tâches portées essentiellement par les femmes. «Qui plus est, ce sont elles les moins bien payées. Le temps partiel est encore majoritairement féminin, synonyme de salaire moindre, d’obstacles à la carrière et de risque de pauvreté encore plus important au moment de la retraite.» Elle rappelle que six femmes sur dix travaillent à temps partiel, contre même pas deux hommes. Or, une baisse du temps de travail généralisée favoriserait un partage plus égalitaire des tâches liées au care.
Thomas Bruchez, de la Grève du climat Genève, met en évidence, quant à lui, les effets bénéfiques pour le climat: «Une étude européenne montre que diminuer de 10% le temps de travail permet une réduction de 4,2% d’émissions de gaz à effet de serre; et même de 10,5% si l’on passe d’une semaine de 42 à 31,5 heures. De surcroît, en travaillant moins, il y a davantage de temps pour s’engager dans des projets écologiques et de lutte contre l’exploitation - intrinsèque au capitalisme - de la planète et des travailleuses et des travailleurs.»
Revendication syndicale de longue date
Alexandre Martins, secrétaire syndical d’Unia à Neuchâtel, souligne l’importance de la réduction du temps de travail tout au long de l’histoire des syndicats. «Dès les origines de la révolution industrielle, les travailleuses et les travailleurs ont dû faire face à des conditions de travail absolument révoltantes.» Douze heures de labeur au quotidien, six jours par semaine, sans compter le recours au travail des enfants. Le permanent syndical rappelle aussi que, dès la fin du XIXe siècle, la revendication centrale a été «8 heures de travail, 8 heures de loisirs, 8 heures de repos». Si ces luttes ont porté leurs fruits, depuis une trentaine d’années, ce mouvement de diminution du temps de travail est bloqué. Alors même que la productivité continue d’augmenter. Unia dénonce l’intensification des augmentations des rythmes et du stress, ainsi que la flexibilisation. «Le temps de travail devient une variable d’ajustement qui doit s’adapter aux impératifs de la production», précise Alexandre Martins. Les salariés vivent ainsi des périodes de surtravail et de repos forcé. Or, l’annualisation du travail n’est pas compatible avec la vie quotidienne, notamment en ce qui concerne la garde des enfants.
Mais est-ce possible économiquement de diminuer le temps de travail sans baisser les salaires? «La courbe des profits des grandes entreprises progresse bien plus vite que celle des salaires. Les dividendes versés aux actionnaires sont passés de 25 milliards de francs en 2009 à 39 milliards en 2019 selon le Swiss Market Index», explique le permanent syndical. Quid des petits patrons qui n’ont pas ces marges-là? «Plusieurs modèles doivent être débattus. Ici, je parle en mon nom: peut-être que certains secteurs, et notamment les grandes sociétés, pourraient apporter leur contribution pour faciliter cette transition.»
La Grève pour l’avenir n’avance pour l’instant pas de chiffres concernant la diminution du temps de travail, ni les moyens pour y parvenir. «Le calcul n’est pas simple, souligne Thomas Bruchez. Et les revendications doivent venir de la rue et des lieux de travail.»
Les Suisses travaillent trop
Jusqu’à présent, avec 42 heures en moyenne par semaine, la Suisse est le pays où les horaires de travail sont les plus élevés en Europe. De surcroît, la Loi sur le travail autorise, selon les métiers, à travailler jusqu’à 50 heures. «Il faut encore ajouter que la Loi sur le chômage considère comme convenable un trajet de 2 heures du domicile au lieu de travail, soit 4 heures par jour», s’insurge Alexandre Martins. Quant aux heures supplémentaires: «En 2018, 183 millions d’heures supplémentaires de travail ont été annoncées selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), ce qui correspond à 87000 emplois à plein temps. Soit environ la moitié du nombre de demandeurs d’emploi inscrits.»
Face aux changements à opérer, la Grève pour l’avenir est consciente que le 9 avril n’est qu’une étape d’un long combat. Pour Thomas Bruchez «une mobilisation de masse» est nécessaire contre ceux qui détiennent le pouvoir économique: «Si la grève reste un objectif, l’heure est à la sensibilisation.»