Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

Tous les ouvriers devraient se syndiquer

Occupé pendant 43 ans dans une entreprise horlogère jurassienne, Guy Kaehlin plaide pour un syndicat fort et uni

Porrentruy, Buffet de la Gare. Guy Kaehlin est venu de Pfetterhouse, son village en France voisine, pour répondre à l'entretien que nous lui avons demandé de nous accorder. Mais avant même que la première question ne lui soit posée, ce sympathique ouvrier de 65 ans, qui a passé quarante-trois ans dans une entreprise horlogère jurassienne, se lance spontanément dans un vibrant plaidoyer en faveur d'Unia. «Ce syndicat a vraiment du mérite. Ce qu'il fait nous concerne au plus près et les discussions que nous y avons, ont vraiment un sens et de l'ampleur, ce que je ne retrouve pas ailleurs. Ses actions répondent à nos préoccupations de tous les jours dans les entreprises et dans notre vie de salarié. Quand Unia revendique et se bagarre, il ne le fait pas n'importe comment. Pas question de partir fusil à l'épaule sans savoir où on va. Les choses sont mûrement réfléchies. En France, les syndicats sont combatifs aussi mais à mon avis beaucoup trop liés à la politique. Et ce n'est pas bon. Le syndicat doit rester un mouvement indépendant qui se concentre sur la défense des travailleurs. Je ne dis pas qu'il ne faut pas avoir d'idées politiques. Unia est par exemple proche des idées du Parti socialiste, ce qui est normal, mais il n'en fait pas sa priorité. Il met le syndicalisme au premier plan et quand il s'occupe de politique, c'est pour des préoccupations sociales qui nous concernent tous.»

Frontaliers mal accueillis
Guy Kaehlin n'a pourtant pas toujours été gâté par le syndicat. Lorsqu'il adhère à la FTMH (aujourd'hui Unia) dans les années soixante, les frontaliers y sont très mal accueillis. «On avait le devoir de payer nos cotisations et le droit de nous taire», raconte-t-il. «On nous accusait de venir manger le pain des Suisses alors qu'à l'époque, la Suisse manquait de main-d'œuvre. Je me souviens d'une assemblée où un responsable m'avait répondu "vous les frontaliers, fermez votre gueule et c'est tout". Cette attitude était surtout le fait de responsables locaux. Mais heureusement, les choses ont évolué puis totalement changé dans les années 70 avec le secrétaire FTMH Jean-Claude Prince et son collègue Hubert Voisard et tous leurs successeurs. A la centrale syndicale, Jean-Claude Rennwald a aussi largement contribué à créer un climat d'ouverture et de solidarité.»

Licencié sans aucune reconnaissance
Côté professionnel, Guy Kaehlin a toujours travaillé chez MRP, fabricant de boîtes de montres à Alle, en Ajoie. «J'ai commencé en 1966, comme ouvrier à l'étampage. Et après un mois de travail, j'y ai laissé deux doigts. On m'a alors déplacé dans le secteur du rhabillage.» En février de l'année dernière, il se voit licencié après 43 ans de fidélité à l'entreprise. «Je revenais d'une longue maladie. Il y avait des restructurations et des difficultés. Des licenciements étaient prévus. L'ambiance était devenue insupportable. J'ai dit au responsable que j'étais le plus vieux et que s'il le fallait, je laisserais ma place à un jeune.» La direction l'a pris au mot. Mais elle ne lui a accordé aucune prime, aucun dédommagement, pas même le paiement complet de période de dédite. «Ils n'ont pas cherché non plus une solution de travail à temps partiel, ou autre chose, pour m'éviter de perdre une partie de la prévoyance professionnelle. Je suis déçu. Je ne demandais pas une fanfare ni un tapis rouge mais un tout petit peu de reconnaissance. Au lieu de cela, je suis parti tout seul sans qu'on me dise merci, sans un petit verre d'adieu.» L'émotion se lit sur son visage. Sa femme Liliane, ex-ouvrière elle aussi, intervient: «Après tout ce que tu as fait pour cette entreprise, on peut dire qu'ils ne t'ont pas gâté.»

«Rien ne tombe jamais du ciel»
Retraité, Guy Kaehlin peut aujourd'hui se consacrer davantage à ses passions: son vaste jardin potager, ses moutons, ses poules, ses lapins et la fanfare de Boncourt, dont il frappe la grosse caisse depuis près de 28 ans. Membre de la société de pêche de Pfetterhouse, il s'occupe beaucoup de l'étang communal connu principalement pour ses fameuses carpes auxquelles les membres d'Unia Transjurane ont le plaisir de goûter chaque année dans une fête que pilote Cécile Heyer, membre du comité national des retraités Unia. «Cécile est un modèle de syndicalisme. Elle a été longtemps présidente de la commission dans l'entreprise où je travaillais. Et elle n'avait pas peur de défendre ce qui était juste et de le dire à haute voix.»
Guy Kaehlin voudrait convaincre tous les ouvriers de s'engager à se syndiquer. «Cela devrait aller de soi. Rien ne tombe jamais du ciel. Ce que nous gagnons par nos revendications profite à nous tous et nous devrions donc tous nous impliquer.»


Pierre Noverraz