Swisscom, un personnel stressé et des clients à pressurer
En 2015, Swisscom comptait 18 965 employés en Suisse, à la fin de 2024, ils étaient 15 905.
Les employés de cette entreprise majoritairement en mains publiques se voient imposer des objectifs de vente de plus en plus irréalisables.
Au cours des cinq dernières années, les bénéfices de Swisscom se sont toujours situés entre 1,5 et 1,8 milliard de francs, avec un chiffre d'affaires stable supérieur à 11 milliards. Ces bons résultats économiques et cette situation financière solide ont toutefois un revers: l'entreprise, contrôlée à 51% par la Confédération – les 49% restants étant détenus par des actionnaires privés, dont certains des principaux fonds d'investissement mondiaux –, continue d'exercer une forte pression sur son personnel. D'une part, en augmentant l'externalisation et, d'autre part, en durcissant les conditions de travail.
«La pression sur les chiffres et les résultats est de plus en plus forte et les objectifs sont de plus en plus ambitieux, pour ne pas dire irréalisables», explique Peter*, employé dans un Swisscom Shop. Brigitte*, qui a récemment quitté l'entreprise, lui fait écho: «Ces dernières années, des changements ont relégué les besoins des clients au second plan. Des objectifs de vente toujours plus élevés sont imposés dans le cadre d'une sorte de concurrence interne – entre les employés et entre les magasins – pour vendre toujours plus.»
Concurrence interne
Cette pression qui préoccupe tant les employés se manifeste sous la forme de quatre lettres: ARPU (Average Revenue Per User), un indicateur qui calcule le revenu moyen généré par chaque employé pour chaque client sur une période donnée. Chaque employé doit augmenter son ARPU autant que possible, en renouvelant autant que possible les abonnements et en concluant de nouveaux contrats. Les objectifs personnels et ceux de l'équipe sont de plus en plus ambitieux et font l'objet de discussions régulières avec les supérieurs. Des applications internes donnent un aperçu détaillé des performances du personnel, ainsi que de chaque magasin par rapport aux autres.
«Si vous voulez atteindre vos objectifs et éviter une procédure de “faible performance”, chaque client qui entre dans le magasin doit en ressortir en payant plus que ce qu'il payait ou pensait payer lorsqu'il est entré, ce qui nous stresse de plus en plus», nous explique Peter. Il ajoute: «Nous sommes obligés d'imaginer toute une série de stratagèmes pour empêcher un client de vouloir réduire le coût de son abonnement et pour lui refiler des offres qui vont au-delà de ses besoins réels.» Brigitte considère cette façon de faire comme un manque de respect envers la clientèle: «J'ai toujours été orientée vers le client, mais dernièrement, la seule chose qui compte vraiment, c'est de dépouiller autant que possible ceux qui entrent dans le magasin.» Cette situation est également favorisée par les contrats qui prévoient désormais un salaire fixe et une partie variable. Récemment, celle-ci est passée de 5% à 10% en fonction de la réalisation des objectifs. «Ces derniers étant de plus en plus élevés, il est probable que les salaires réels diminuent», précise Peter.
Pour le vendeur, un autre problème est le manque de transparence sur les critères qui sous-tendent les décisions de l'entreprise: «Il est probable que nos objectifs soient calculés par un algorithme, basé sur des paramètres inconnus et qui ne tiennent pas compte des besoins réels du personnel.» Par exemple, explique Peter, «le fait que, souvent, des problèmes techniques ou informatiques ralentissent les performances de vente n'est pas pris en compte». En outre, il est probable que des critères inconnus soient également utilisés pour évaluer les réductions de personnel. Deux emplois ont été supprimés dans les magasins tessinois au cours des derniers mois sans que les personnes directement concernées et les syndicats aient été informés des paramètres qui ont conduit à ces mesures de l'entreprise.
Sondage alarmant
L'environnement de travail est de plus en plus stressant et la peur de perdre son emploi, en particulier pour les salariés plus âgés, se fait sentir. Tout cela dans un contexte où ils sont constamment confrontés à de nouveaux produits, de nouvelles technologies et de nouvelles offres pour la clientèle. En mai dernier, un article du quotidien romand 20 minutes a mis en lumière plusieurs pratiques discutables utilisées à l'égard des clients des Swisscom Shops. Deux anciens employés ont expliqué les méthodes visant à faire signer de nouveaux contrats à tout prix : «Nous sommes poussés à tricher et à faire n'importe quoi, au risque d'être licenciés si nos résultats ne sont pas satisfaisants», a déclaré l'un de ces anciens employés. «Je n'enverrais jamais ma grand-mère seule chez Swisscom», a ironisé l'autre.
Syndicom, Transfair et la représentation du personnel ont mené une enquête anonyme auprès des conseillers de vente pour savoir directement comment la situation est vécue dans les différentes régions. Il ressort de cette enquête, à laquelle ont participé 44% des personnes contactées, que la pression au travail est forte «en raison d'attentes trop élevées». Une grande partie du personnel estime que les objectifs sont pratiquement impossibles à atteindre, ce qui détériore l'ambiance de travail et provoque des troubles du sommeil et des états d'anxiété.
Augmentation des externalisations
De nombreuses activités de centre d'appels ont été déléguées à des sociétés suisses, telles qu'Avocis, une entreprise connue pour ses conditions de travail difficiles et ses pratiques antisyndicales. Avocis fait aujourd'hui partie du groupe britannique Capita, un géant de l'externalisation contrôlé par divers fonds d'investissement, dont celui de la banque suisse Lombard Odier. Capita Customer Services AG emploie 3500 personnes en Allemagne et en Suisse. Dans la Confédération, elle est le véritable leader du marché et possède des bureaux dans le canton de Thurgovie, à Lausanne et à Zurich. Récemment, des cabines ont été installées dans les magasins, grâce auxquelles le client est mis en contact en ligne avec un opérateur externe qui est un employé de... Capita. «Nous sommes de moins en moins nombreux et eux de plus en plus. Nous ne pouvons qu'être très inquiets», nous dit Marc*, un employé qui travaille dans un bureau en Suisse.
Le secteur des centres d'appels est connu pour ses conditions de travail très précaires, à tel point que la Confédération a dû intervenir et déclarer, en 2018, l'obligation générale d'une CCT. Ce contrat est toutefois nettement moins avantageux que celui en vigueur chez Swisscom. C'est pourquoi l’opérateur, comme dans d'autres domaines, préfère de plus en plus déléguer ces tâches à des entreprises externes. Une tendance qui s'est encore accélérée lorsque certains services de centres d'appels ont été externalisés en Europe de l'Est.
Alors qu'en 2015, Swisscom comptait 18965 employés en Suisse (87,7% de l'ensemble du personnel), à la fin de 2024, seuls 15905 personnes (80%) travaillaient dans la Confédération: un cinquième des emplois de l'entreprise se trouve désormais à l'étranger. En dix ans, 3000 emplois ont été perdus en Suisse, tandis que 3300 ont été créés. En substance, en moyenne, pour chaque emploi créé à l'étranger, un emploi est supprimé en Suisse.
Dans ce contexte, au premier semestre 2025, le groupe Swisscom a augmenté son chiffre d'affaires de 37%. Pour l'exercice 2025, la direction prévoit d'augmenter les dividendes de 22 à 26 francs par action. La Confédération, qui a reçu 581 millions de francs pour l'exercice 2024, devrait en recevoir près de 700 millions pour 2025. Le moment est peut-être venu pour les pouvoirs publics de faire pression pour que cette bonne situation financière se traduise par une meilleure qualité et une plus grande pérennité des emplois.
*Prénoms d’emprunt
Article paru dans le journal Area
«Le stress fait partie de la vente»
Contactée, Swisscom précise que «le stress fait partie de la vente, surtout dans un contexte dynamique». L'entreprise affirme prendre «très au sérieux les retours des collaborateurs» et les traiter de manière proactive: «Nous améliorons constamment les processus et mettons à disposition de nouveaux outils qui allègent le travail quotidien.» L'exemple cité est celui des cabines installées dans les magasins. En ce qui concerne les objectifs toujours plus élevés, Swisscom affirme qu'ils «restent stables depuis des années» et qu'ils ont été «légèrement ajustés cette année, car grâce à de nouvelles offres plus attrayantes et plus avantageuses, nous pouvons atteindre un nombre plus important de clients». Swisscom précise également qu'elle «ne prend pas de décisions automatisées concernant les effectifs en magasin» et que des facteurs tels que «la fréquentation des clients, le développement de l'emplacement et le potentiel de vente» sont régulièrement analysés afin de définir la taille optimale de l'équipe de chaque point de vente. Les objectifs sont, quant à eux, définis «sur la base de critères clairs et vérifiables, tels que la taille de la zone de chalandise, la fréquentation, la taille du magasin et la situation concurrentielle locale». Enfin, la part variable du salaire a été augmentée «afin de mieux valoriser» les vendeuses et les vendeurs «et de favoriser leur fidélisation à long terme».