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«Sans hausse des salaires, la colère va se faire ressentir»

Portrait de Pierre-Yves Maillard.
© Neil Labrador/archives

A la tête de l’Union syndicale suisse, Pierre-Yves Maillard tire la sonnette d’alarme face à la hausse des prix et à celle annoncée des primes maladie qui vont affecter les budgets des salariés. Il revendique la pleine compensation du renchérissement et des hausses supplémentaires qui seront décidées par les fédérations.

Climat tendu à l’orée de l’automne alors que l’inflation est à son plus haut niveau depuis des années. Le président de l’USS, Pierre-Yves Maillard, a été sous les feux des médias et a suscité une riposte des patrons. Retour sur les enjeux de ces passes d’armes

Durant le mois d’août, des passes d’armes se sont déroulées au sujet des revendications salariales entre le président de l’Union syndicale suisse (USS), Pierre-Yves Maillard, et les patrons des patrons, Fabio Regazzi, président de l’Union suisse des arts et métiers (Usam), et Valentin Vogt, président de l’Union patronale suisse (UPS). Le 7 août, dans une interview publiée par la SonntagsZeitung, Pierre-Yves Maillard lançait un avertissement au patronat: «Si les employeurs n’augmentent pas les salaires, il y aura des troubles sociaux et politiques. S’il n’y a pas de solution, des mesures de lutte seront inévitables.» Le lendemain, Travail.Suisse, faîtière des syndicats chrétiens, présentait ses revendications: des hausses générales de 3% à 5%. L’USS quant à elle dévoilera celles de ses fédérations le 2 septembre.

Les paroles de Pierre-Yves Maillard ont suscité la riposte virulente du patronat. Le 12 août, dans la Tribune de Genève, le président de l’Usam, Fabio Regazzi, répondait en affirmant que les syndicats ne devaient pas jouer avec le feu et que s’il devait y avoir des troubles sociaux, ils en porteraient la responsabilité… Il rejetait également toute hausse généralisée des salaires et appelait les organisations des travailleurs à la raison, indiquant que certaines branches peinaient à se remettre de la crise du Covid et que d’autres souffraient de la guerre en Ukraine. Des arguments repris par Valentin Vogt, président de l’UPS, qui répondait le 14 août dans la NZZ am Sonntag. Selon lui, les prétentions syndicales sont «irréalistes» et il ne sera pas question d’octroyer des hausses générales, les augmentations devant se négocier de manière individuelle.

Alors que le taux d’inflation affichait, en juillet, 3,4% et que des hausses importantes des primes maladie sont annoncées, retour avec Pierre-Yves Maillard sur ces échanges par presse interposée.


Dans la SonntagsZeitung, vous avez parlé de troubles sociaux et politiques en cas de refus des employeurs d’augmenter les salaires. Quels sont les premiers signes de ce mécontentement?

Dans cette interview, j’avais indiqué dans quels domaines ces troubles se sont déjà manifestés et à quoi nous pouvons nous attendre. Il y a eu par exemple la longue grève chez Smood, liée à des conditions de travail insupportables. Le climat est tendu aussi dans les aéroports où des débrayages ont eu lieu. Une grève est possible chez Swissport. Dans le gros œuvre, si les négociations n’avancent pas, le mécontentement et la colère des maçons vont se faire sentir tout prochainement. Dans les soins, il faut aussi s’attendre à de la colère, là où la situation du personnel continue de se dégrader.

Le taux d’inflation actuel, auquel s’ajoute la hausse des primes qui sera d’environ 100 francs par mois pour une famille, sont une source de tensions comme on n’en a plus vu depuis longtemps. Si rien ne bouge, les gens peuvent manifester leur mécontentement à tout moment et dans n’importe quel secteur.

Il existe aussi dans notre pays un autre moyen d’exprimer ce mécontentement: par le bulletin de vote. J’espère que le 25 septembre, les gens se mobiliseront lors de la votation contre le cumul d’une nouvelle baisse d’impôts pour les riches et de la baisse des prestations de l’AVS. Et démontrer ainsi au Parlement qu’ils ne veulent pas de cette politique.

Un vote contre AVS 21 et contre la révision de la Loi sur l’impôt anticipé serait un signal fort, mais cela ne fera pas augmenter les salaires. Comment réagissez-vous aux propos des présidents de l’Usam et de l’Union patronale?

Je les ai trouvés très nerveux pour que les deux prennent la peine de me répondre! Le fait que je demande la pleine compensation du renchérissement, plus un supplément qui sera fixé par chaque fédération de l’USS, ne devrait tout de même pas les surprendre. Si c’est le cas, ils risquent d’avoir des vapeurs encore longtemps!

Les salaires vont se discuter dans les branches et nous verrons la capacité de négociation de nos fédérations. Il existe déjà des signaux d’ouverture dans certains domaines. Comme l’hôtellerie-restauration qui a obtenu jusqu’à 40 francs en plus de la compensation du renchérissement. Ce n’est pas énorme, mais c’est déjà un résultat.

Le discours des faîtières patronales prétendant que des hausses ne sont pas possibles dans les branches ayant souffert du Covid est démenti par cela. Si c’est possible dans la restauration, aucune branche ne peut prétendre que c’est impossible de compenser le renchérissement. Il y a encore d’autres bons résultats, comme les 7% d’augmentation pour le personnel de cabine d’Easyjet ou les améliorations obtenues aux VMCV, les transports publics de la Riviera. Tout dépendra de la capacité de mobilisation de nos fédérations et de nos membres.

Une manifestation nationale est-elle envisagée pour appuyer les revendications salariales?

Nous avons prévu une journée d’action nationale le 27 août sur la votation AVS 21. Ce sera aussi un moment où nous pourrons mettre en avant la question des salaires, les rentes étant du salaire différé. Nous devons tout faire pour gagner contre AVS 21 et nous verrons ensuite si les fédérations veulent aller plus loin sur les salaires. On doit prendre le pouls de leurs exigences pour compenser l’inflation. On sait déjà que la ronde des négociations salariales fera bouger les choses. Certains économistes parlent déjà de 2,4%. Avec les négociations, on peut et on doit aller plus haut, mais pour cela il faudra se mobiliser. C’est dans les branches qu’il faut être forts.

Qu’en est-il de la revendication de l’égalité salariale entre femmes et hommes?

Cette revendication est bien sûr toujours présente. Dans les branches très féminines, il faudra s’attendre à des revendications fortes. Notamment dans la vente, où nous n’avons malheureusement toujours pas de CCT nationale. Mais c’est une branche qui a été moins affectée que la restauration pendant la pandémie, donc des augmentations y sont possibles. La bataille de l’AVS est aussi centrale pour renforcer les droits des femmes et non les affaiblir comme le prévoit AVS 21.

Certains, aussi parmi les travailleurs, craignent que la hausse des salaires ne fasse monter les prix, suscitant une spirale inflationniste. Qu’en pensez-vous?

Quelle est l’alternative? Laisser les prix augmenter et laisser les rémunérations là où elles sont? Cela signifie une baisse réelle massive des salaires. Ne pas les augmenter quand il y a 3,4% d’inflation, c’est comme si on les baissait de 3,4% pendant une année à inflation zéro. Est-ce qu’on accepterait ça? Si les prix augmentent et pas les rémunérations, il y a bien quelqu’un qui se met l’argent dans la poche. Exiger la compensation intégrale du renchérissement permet de garder un certain équilibre et d’éviter une augmentation des marges au bénéfice des profiteurs de crises.

Il faut aussi avoir une réflexion macroéconomique. 3% d’inflation non compensée, sur la masse salariale totale de plus de 450 milliards par année en Suisse, cela représente grosso modo 15 milliards qui seraient retirés de la consommation intérieure, avec un effet récessif indéniable.

Cette discussion prix-salaires est une nouveauté. On ne pose jamais la question des prix-bénéfices et de savoir où l’argent abouti. D’autre part, si une spirale inflationniste s’instaure, il faudrait la briser avec un impôt spécial sur ceux qui profitent de la crise.

Arrivera-t-on à gagner sur les revalorisations salariales?

L’inflation connaît un taux record jamais vu depuis 40 ans, le chômage est au plus bas depuis 20 ans, la croissance économique est à plus de 2%. Si on n’augmente pas les salaires dans des conditions pareilles, quand les augmentera-t-on?

C’est là que les déclarations des patrons des patrons sont à côté de la plaque lorsqu’ils prétendent qu’ils ne peuvent assurer partout des hausses de salaires. C’est possible de couvrir au moins la pleine compensation du renchérissement et dans certaines conditions des hausses générales supérieures.

L’Etat a un rôle à jouer face à l’inflation

Le patron de l’Usam appelle l’Etat à intervenir, estimant que ce n’est pas aux entreprises de tout porter. Est-ce une option pour l’USS?

C’est une bonne idée que l’Etat intervienne, par exemple pour accroître les aides à la réduction des primes maladie, ou introduire d’autres mesures en faveur des familles, par exemple en matière fiscale avec un chèque fédéral. Mais si les patrons et la droite disent qu’il faut des mesures étatiques, ils ne sont pas très lestes à les voter au Parlement. Le Centre, auquel appartient M. Regazzi, a néanmoins adopté une proposition que nous avons faite visant à augmenter de 2,3 milliards les subsides pour les primes maladie. Il faut encore que cela passe aux Etats, ce qui est loin d’être gagné.

En Belgique, il existe depuis plus de 100 ans une indexation automatique des salaires. N’y aurait-il pas là une idée à reprendre en Suisse?

J’y ai pensé, mais en Suisse la tradition, à laquelle beaucoup tiennent aussi parmi les syndicats, est de négocier les salaires entre partenaires sociaux. Cela étant, si le partenariat social ne fonctionne plus, ce type d’idées prendra plus d’importance.

Il y aura des négociations dans les branches disposant de CCT, mais la moitié des travailleurs du pays ne sont pas assujettis à une convention. Que faire pour eux?

Les gens doivent se battre, se syndiquer. Il y aura aussi un effet d’entraînement. Quand une branche où il y a une pénurie de main-d’œuvre, améliore ses conditions de travail, toute une série de secteurs devraient suivre. Sinon, les travailleurs voteront avec les pieds et changeront de métier.

Ils peuvent aussi faire jouer la concurrence eux-mêmes. Mais il ne faut pas se faire d’illusion. Les banques centrales sont en train de resserrer le crédit et n’hésitent pas à provoquer une récession pour en finir avec l’inflation. Celle-ci est mauvaise pour les salariés, mais aussi pour les détenteurs de fortune dont la valeur diminue. Ce n’est pas pour rien que les mandats des banques centrales prévoient souvent uniquement la régulation de l’inflation et non l’emploi ou la prospérité générale. Ils se disent qu’un peu de chômage permettrait de rétablir un rapport de forces plus favorable aux employeurs sur le marché du travail. En fait, c’est sur nos forces qu’il faut compter.

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