«Qui est vraiment “nécessaire”?» C’est par cette question fondamentale que le Mouvement pour une agriculture paysanne et citoyenne (MAPC) s’insurge contre la décision du Conseil fédéral de fermer tous les marchés jusqu’à nouvel ordre. Alors qu’il était encore possible de vendre des glaces au bord du lac la semaine dernière ou un hamburger d’une multinationale dans une zone commerciale, les légumes des petits paysans, au centre-ville, étaient proscrits. Le MAPC, qui rassemble des personnes des filières paysannes, artisanales et alimentaires locales, de la graine à l’assiette, a été créé en avril 2019 à Genève pour promouvoir une nourriture de qualité, écologique et équitable. Dans son communiqué du 18 mars, il s’indigne que les consommatrices et les consommateurs soient invités à ne se tourner que vers la grande distribution comme si celle-ci était la seule garante de l’approvisionnement alimentaire en Suisse.
«Cette décision nie notre place dans la chaîne de production et de consommation», enchaîne le MAPC. Elle exprime en effet un paradoxe face à la mondialisation néolibérale qui montre ses failles dans la situation de crise sanitaire actuelle. Cette dernière représente aussi une formidable occasion de repenser cette globalisation absurde, où des aliments font des milliers de kilomètres avant d’arriver sur les étals. Et ce, alors que le réchauffement climatique – autre crise planétaire majeure qui nécessiterait des mesures au moins aussi fortes que celles contre l’épidémie du Covid-19 – provient, entre autres causes, de la pollution générée par les transports, l’agro-industrie et l’élevage intensif. Or, la petite paysannerie est celle qui nous sauvera peut-être d’autres effondrements, notamment environnemental. Pourtant, la décision fédérale prise la semaine dernière de ne plus lui permettre une vente directe dans les marchés la fragilise. Et déjà d’autres problèmes se posent à l’agriculture suisse: le coronavirus la prive aussi de sa main-d’œuvre européenne. Il ne manquerait plus qu’une canicule cet été… Mais qu’on évitera peut-être grâce au ralentissement actuel.
«La distribution de la nourriture que nous produisons pourrait permettre de répondre à la raréfaction des denrées indigènes et alléger la fréquentation des enseignes de la grande distribution», indique encore le MAPC. Les rayons se vident dans les grands magasins, alors que la production agricole des petits paysans s’accumule. Les vendeuses et les vendeurs des supermarchés doivent effectuer des heures supplémentaires, tandis que leurs conditions de travail se sont fortement dégradées ces dernières semaines. Comme le dénonce le syndicat Unia, les dispositions pour protéger leur santé ne sont d’ailleurs pas effectives partout. En plus du coronavirus, le surmenage et le burn-out guettent. Les marchés, bien encadrés, pourraient soulager aussi ces travailleuses et ces travailleurs essentiels de la vente (et pourtant si peu payés). Dans l’urgence, les marchés à la ferme (tant qu’il n’y a pas confinement) et le développement de paniers livrés à domicile sont des alternatives à soutenir. Dans tous les cas, dans la paysannerie et ailleurs, cette crise historique nous offre l’occasion de repenser le système dans son entier… et de nous rappeler de l’essentiel.