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Quête de sens et féérie

Ariane Mérillat rêve d’une révolution poétique propre à réanchanter le monde.
© Thierry Porchet

Ariane Mérillat rêve d’une révolution poétique propre à réanchanter le monde.

Spécialisée en anthropologie visuelle, réalisatrice de documentaires, fondatrice d’une association humanitaire, Ariane Mérillat œuvre aussi comme officiante laïque. Kaléidoscope

Pas question de mener une existence médiocre. Ariane Mérillat a besoin de se frotter à nombre de réalités. De nourrir son insatiable curiosité. D’exprimer sa personnalité romantique et romanesque. Une nature qui a conduit la Vaudoise de tout juste 37 ans à élargir constamment ses connaissances. A fréquenter différents milieux et groupes. A explorer plusieurs courants de pensées, philosophiques et spirituels. Sans s’affilier au final à aucun mouvement. Son indépendance d’esprit, son refus de conventions sociales étriquées, son rejet des extrémismes l’ont amenée à tracer son propre chemin. Une voie en phase avec les multiples facettes de son être vibrant encore au monde fantastique du réalisateur Miyazaki. «J’ai accepté que je dois créer ma propre religion», image la jeune femme, caressant rêveusement un majestueux chat blanc lové sur ses genoux. Dans la maison qu’elle partage avec son mari Bastien dans le Gros-de-Vaud, enveloppée par la chaleur d’un feu crépitant dans la cheminée, la trentenaire lève un pan de voile sur sa vie.

Liens tamouls

Les images d’abord occupent une place importante dans son parcours. Titulaire d’un master en anthropologie et d’un autre en humanités numériques, l’universitaire sait les décortiquer et évaluer leur véracité, mesurer leurs effets, neutres ou manipulateurs, etc. Et propose des cours et des conférences sur la thématique. La passionnée, aussi diplômée en français et cinéma, s’est par ailleurs formée dans la réalisation de documentaires. Elle prépare actuellement pour l’Université de Lausanne un film sur les mariages tamouls au Sri Lanka. Un choix qui ne doit rien au hasard. La Vaudoise entretient avec ce pays une relation privilégiée. Celle-ci a débuté alors qu’elle et son compagnon ont accueilli durant plusieurs années une fratrie de trois mineurs non accompagnés tamouls. «Au début, c’était compliqué en raison des problèmes de langue. Mais ils étaient adorables», explique celle qui a renoncé à avoir des enfants, trop inquiète par l’état du monde, entre dérèglement climatique, montée des extrémismes, violence, ascendance des réseaux sociaux... En dépit des difficultés de la démarche, des liens forts se tissent. Ariane Mérillat rencontre aussi au Sri Lanka la famille de ses protégés, appartenant à la caste des intouchables. Ebranlée par la dureté de ses conditions d’existence, elle lui envoie régulièrement de l’argent. Puis fonde, après plusieurs voyages sur place aussi motivés par le tournage du documentaire en cours, l’organisation humanitaire Panipanthu, qui signifie en tamoul «boule de neige». Un nom symbolique misant sur une solidarité communicative...

Rêve d’école

L’organisation vise à récolter des fonds en faveur de l’éducation d’enfants. «Nous pouvons aujourd’hui offrir quotidiennement un cours d’anglais et un repas à quelque 35 élèves, dont une grande majorité de filles pour qui c’est le plus souvent l’unique sortie de la maison», note avec satisfaction cette féministe éprise depuis toujours de liberté et d’aventure, tout en défendant la notion du «bien vivre ensemble». «Dans l’idéal, nous aimerions rassembler 50000 francs pour pouvoir construire une école», précise encore l’anthropologue, qui justifie son engagement par un besoin de se sentir utile. Un souci qui explique également sa casquette... d’officiante laïque. Ariane Mérillat organise en effet des cérémonies funéraires pour les familles désireuses de dire adieu à un proche hors d’un cadre religieux et crée des rituels sur mesure. L’élément déclencheur de cette activité? Le décès de son papa terrassé par une crise cardiaque à 40 ans. Elle n’a alors qu’une vingtaine d’années et se retrouve seule face à cette douloureuse et brutale séparation.

Enterrement festif

«Pour gérer la disparition de mon père, j’ai décidé d’organiser un enterrement parfait, atypique, reflétant sa personnalité. C’était un séducteur, un bon vivant, fan des Etats-Unis, qui aimait s’amuser.» Ariane Mérillat met sur pied une grande fête, rythmée par la musique d’Elvis Presley, la danse, les échanges autour du barbecue. Habillée d’une robe inspirée de celle que portait Marilyn Monroe dans le film Sept ans de réflexion, elle invite les nombreux hôtes à écrire leur propre épitaphe sur le cercueil blanc renfermant la dépouille paternelle... La cérémonie rencontre un franc succès. Des années plus tard, entraînée par une amie, elle suit à Genève des cours formant des officiants laïques. Depuis, elle s’est chargée d’une bonne dizaine d’obsèques. «J’adore cette fonction. Elle me permet de rencontrer des personnes qui, en deuil, laissent percevoir leur profondeur, se montrent authentiques», indique la Vaudoise, précisant encore que la démarche participe aussi de son désir de se confronter à elle-même, de s’améliorer. «La quête de sens gouverne ma vie», confie Ariane Mérillat qui, dans cette optique, travaillerait volontiers pour une organisation humaniste ou rêverait d’être engagée comme professeure permanente en anthropologie visuelle.

Effrayant...

Si la passionnée se ressource dans de multiples projets, elle trouve encore son équilibre dans le refuge de son foyer. Et dans le réconfort que lui offre son compagnon, également lors de moments difficiles. «Le bonheur, c’est refuser de se laisser constamment envahir par de mauvaises nouvelles, explorer le dehors tout en ayant la possibilité de rentrer chez soi profiter d’un coin du feu, entourée des chats. Il me faut une base émotionnelle stable.» Reste que l’anthropologue, fan de Fabrice Luchini et de l’écrivaine Virginie Despentes, se désespère des orientations prises par la planète. «Je partage l’avis de l’astrophysicien et philosophe français Aurélien Barrau. Nous avons urgemment besoin d’une révolution poétique. De réenchanter le monde. Aujourd’hui, il n’y a rien. C’est effrayant...» Un constat qui a la vertu d’aiguillonner la volonté d'Ariane Mérillat à vivre sa vie comme un roman, pétri de valeurs et de féérie, histoire, aussi, de tordre le cou au pessimisme...