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Projecteur sur les sans-abris

Présentation en première mondiale le 10 août à Locarno et dès la mi-semptembre sur les écrans romands

Le documentaire «L'Abri» de Fernand Melgar sera présenté en première mondiale le 10 août au festival du film de Locarno et dès la mi-septembre sur les écrans romands. Avant-goût...

Chaque soir, durant la période hivernale, se produit le même scénario dramatique. Devant les portes d'un hébergement d'urgence pour sans-abris à Lausanne se presse une foule bigarrée rêvant d'un repas chaud et d'un lit. Des personnes de provenances et aux profils divers, partageant toutefois en commun détresse et pauvreté, qui jouent des coudes pour tenter d'entrer. Et pour cause. Les places sont comptées. Seules 50 personnes franchiront le seuil de l'abri atomique. 50 «élus» qui seront désignés par les veilleurs du centre chargés de la terrible tâche de trier au quotidien les chanceux des autres, échappant alors à une longue et froide nuit dehors... C'est ce microcosme - un espace ouvert de novembre à début avril, de 22h à 8h - qui fait l'objet du dernier film, «L'Abri», de Fernand Melgar, réalisateur et producteur. «La raison de ce choix? Parler, à travers la petite histoire, de la grande. Evoquer par ce lieu, symbolique mais concret, ce que traversent nos sociétés», répond le réalisateur choqué que chaque nuit, au mépris de la plus élémentaire dignité humaine, des dizaines d'hommes, de femmes et d'enfants sont contraints de dormir dans la rue, dans sa ville, «pourtant plutôt de gauche et solidaire». «En me plongeant dans cette réalité ignorée, il m'est apparu urgent que cette extrême précarité puisse faire l'objet d'un film.»

Dans les rues, parcs et parkings
Une misère qui pourrait pourtant être atténuée ... «Même si le centre a la capacité d'accueillir le double de monde, soit 100 personnes, on en limite l'accès car on ne veut pas créer d'appel d'air... Le tri s'effectue à l'entrée. Chaque soir, la même loterie recommence qui doit donner une chance à chacun. En privilégiant néanmoins l'accès aux femmes et aux enfants, comme quand un bateau coule. En séparant parfois les familles. En créant désarroi, colère et frustration. En courant le risque de laisser des gens exposés à de très grands froids. En les contraignant à se cacher en raison des menaces d'amendes de plusieurs centaines de francs que peut leur infliger la police, le camping étant interdit sur la voie publique», poursuit Fernand Melgar qui aura passé six mois à fréquenter les différentes communautés pour pouvoir réaliser ce documentaire. «Tout l'été, j'ai traîné dans les rues, les parcs et les parkings pour les contacter et tenter de les convaincre. Des liens se sont noués. La confiance que m'ont accordée certains d'entre eux m'a valu le plus souvent celle de toute leur communauté. Et inversement. Il y a de la solidarité dans la précarité.» Avec le blanc-seing des protagonistes et les autorisations de la municipalité, Fernand Melgar va alors promener sa caméra dans cet hébergement d'urgence, «cet univers parallèle au nôtre, invisible et muet», réunissant essentiellement des citoyens européens, dont surtout des hommes célibataires, âgés de 20 à 50 ans.

D'autres tris et contingents...
«Il s'agit pour une grande majorité d'Espagnols d'origine africaine et sud-américaine ayant bénéficié de régularisations au début 2000. Ils fuient la crise et cherchent un travail. Plusieurs ont des jobs, mais font partie des working-poor. Ils n'ont pas les moyens de trouver un logement, de payer un loyer.» Parmi les autres migrants sans domicile fixe, des Roms - dont plusieurs femmes avec leurs enfants - qui, privés d'autorisation de travail, vivent de la mendicité, ou encore des Maghrébins, surtout de Tunisie, arrivés après le Printemps arabe. «Mais la pauvreté et l'exclusion n'ont ni patrie ni ethnie. La population des sans-abris est hétérogène, bariolée et de toutes les origines.» Fernand Melgar précise toutefois que très peu de Suisses dorment dans cet hébergement d'urgence, «car ils bénéficient de solides programmes d'encadrement et de réinsertion». «Les quelques exceptions tiennent alors davantage d'un choix de vie.»
Quant au personnel, le réalisateur le décrit comme une équipe «au grand cœur... à la main de fer dans un gant de velours». L'abri est lui comparé à un «canot de sauvetage, même si on se noie autour». Et Fernand Melgar de souhaiter que son documentaire, «dans un climat récurrent de xénophobie, contribue à lever un pan de voile sur cette vie d'exclus et à susciter la réflexion». Questionnement d'autant plus nécessaire après les votations sur «l'immigration de masse» du 9 février qui impliqueront aussi tris et contingents... 


Sonya Mermoud