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Pour une numérisation sociale

Les syndicats défendent l'idée d'une numérisation qui profite aussi aux salariés

L'Union syndicale suisse a réalisé une nouvelle étude sur les différentes formes de la numérisation et leurs conséquences sur les travailleurs. La recherche souligne les opportunités et risques que représente l'essor du digital. Elle est complétée par une série de revendications sociales et d'autres, relatives au droit du travail, afin que les salariés profitent aussi de l'évolution technologique. Lignes maîtresses.

«La numérisation doit servir aux salariés.» Un impératif pour l'Union syndicale suisse (USS), auteure d'une recherche sur les avantages mais aussi les risques de la révolution digitale sur les salaires, les emplois et les conditions de travail. Dossier à la clef, les représentants syndicaux ont abordé l'évolution technologique sous l'angle des travailleurs mais également juridique, économique et politique. Et proposé leurs recettes pour une bonne maîtrise de la mutation en cours. Une transformation de notre société qui, comme l'a noté dans son exposé Daniel Lampart, économiste en chef et premier secrétaire de l'USS, n'est pas nouvelle, le phénomène ayant déjà débuté durant la deuxième moitié des années 1990 avec l'utilisation des ordinateurs à large échelle dans nombre de secteurs (banques, assurances, logistique, communication). Mais si les innovations technologiques antérieures ont souvent été positives pour une majorité de travailleurs, la situation actuelle, a précisé le collaborateur de l'USS, se révèle aujourd'hui plus périlleuse. «L'emploi stagne largement et les rentes du 2e pilier se réduisent comme peau de chagrin.» Dans ce contexte, les syndicats se sont positionnés en faveur d'une «numérisation sociale», politiquement et juridiquement encadrée. D'autant plus que, comme s'est inquiété Giorgio Pardini, membre du comité directeur de Syndicom, le rythme de cette évolution s'accélère avec, pour conséquences, «des groupes professionnels entiers menacés de passer à la trappe».

Une décision politique...
«La numérisation peut être aménagée. La question de savoir si la modernisation technologique sert au profit et au capital ou aux personnes est une décision politique», a affirmé Vania Alleva, présidente d'Unia. Et la responsable syndicale de faire état d'avancées dans différents domaines mais aussi leur impact négatif sur les employés. Comme par exemple dans la construction où l'usage de robots pour soulever de lourdes charges limite la pénibilité du travail, celui de drones facilite les inspections dangereuses. Des améliorations bienvenues mais qui se sont aussi accompagnées, parallèlement, d'une pression accrue sur les délais, dictée par la course au rendement et par les technologies numériques, aggravant le stress des ouvriers sur les chantiers. Bémols aussi dans l'industrie où la robotique et les machines en réseau ont certes augmenté la productivité mais plongé les employés dans l'incertitude, avec la disparition de places de travail. Une situation comportant toutefois un potentiel de réindustrialisation du pays, a estimé la représentante d'Unia, pour autant qu'une politique adéquate la soutienne en encourageant les investissements publics et l'innovation. «La numérisation représente donc une grande chance de maîtriser la conversion écologique nécessaire de l'économie.»

Meilleure application des lois
Pilotage politique aussi réclamé dans le domaine des plateformes en ligne désormais fréquentes dans les secteurs du commerce, des transports, de la logistique, de l'hôtellerie-restauration ou encore dans la fourniture de différents services. Et Vania Alleva de dénoncer les entreprises qui, à l'image du transporteur Uber, pratiquent le dumping et tentent d'imposer de nouveaux modèles de travail en faisant peser tous les risques sur les salariés, appréhendés comme des pseudo-indépendants. «Pour ses employés, la multinationale ne paie aucune cotisation aux assurances sociales, pas d'assurance accidents, pas de vacances et ne verse pas de salaire en cas de maladie. C'est illégal. La Suva a précisé que les chauffeurs d'Uber sont des employés soumis à la Loi sur le travail.» Ces nouvelles formes d'emploi ont été examinées sous l'angle du contrat de travail par Luca Cirigliano, secrétaire central de l'USS. «Si l'on analyse l'organisation du travail et la façon dont les plateformes sont conçues, on arrive la plupart du temps à la conclusion que l'on est en présence d'un rapport de travail salarié ordinaire. Souvent, les modèles de travail qu'encourage la numérisation sont des phénomènes de précarisation connus depuis longtemps: indépendance fictive, travail sur appel, location de services.» Au regard des décisions prises par les autorités à l'encontre des taxis Uber ou du service de livraison Notime, le syndicaliste estime cependant qu'il n'est pas nécessaire de légiférer en matière de droit du travail et des assurances sociales mais demande une meilleure application des lois en vigueur et davantage de contrôles pour que cette catégorie d'employeurs ne puisse se soustraire à leurs devoirs. Et pratiquer le travail au noir numérique.

Conclure davantage de CCT
Vania Alleva a encore insisté sur une «numérisation sociale» qui permette aux salariés de participer aux progrès de la productivité via des salaires équitables, la sécurité sociale et des temps de travail réglementés. Avec, dans cette perspective, la nécessité de conclure un plus grand nombre de conventions collectives de travail, y compris dans les nouvelles formes d'emplois. Et des possibilités assurées de formation continue et de réorientation professionnelle dans les branches menacées par la révolution digitale.
Se référant au télétravail, la présidente d'Unia a aussi souligné l'importance de respecter la vie privée des personnes, en leur concédant le droit à ne pas être joignables en tout temps. «Avec le modèle de travail à domicile et la connexion constante, la frontière entre travail et loisirs tend à s'estomper. C'est pourquoi il faut des règles claires pour le temps de travail et une saisie systématique des heures travaillées.» A ce chapitre, les questions en matière de santé, de coûts matériels et de responsabilité civile doivent aussi être résolues via des réglementations.
Les syndicats réclament en outre, en appui à une «offensive de formation initiale et continue» - matérialisée par un nombre adéquat d'offres des cantons et employeurs -, des impôts sur le bénéfice des entreprises suffisamment élevés. Ces éventuels gains supplémentaires serviraient au financement de la formation. Enfin, ils se positionnent une nouvelle fois en faveur d'une meilleure protection contre le licenciement pour les travailleurs âgés employés depuis longtemps dans l'entreprise.


Sonya Mermoud