A Berne, les délégués de l’industrie MEM ont dénoncé avec force la pression subie par les commissions du personnel, en présence de Guy Parmelin et de Pierre-Yves Maillard.
C’est la voix tremblante qu’il témoigne. «Alors que l’entreprise où je travaille licencie des dizaines de personnes pour délocaliser la production à l’étranger, nous sommes cinq des sept membres de la commission du personnel à avoir reçu notre congé.» Jean-Marc, président de cette commission depuis 17 ans, précise que c’est là une proportion largement supérieure à celle du nombre de licenciés sur l’ensemble du personnel. «Ça, c’est la réalité, pas une fiction!» lance, très ému, ce Genevois à Guy Parmelin, debout face à lui.
«J’en suis conscient», répond le conseiller fédéral en charge de l’Economie, qui était invité ce 19 mai, à Berne, à la Journée de l’industrie d’Unia sur la protection des représentants du personnel contre les licenciements. Protection très lacunaire en Suisse, comme le rappelle une enquête réalisée pour Unia par la Haute école de travail social de Fribourg, dont les résultats ont été présentés à cette occasion (lire ci-dessous). La salle comble – 280 personnes venues de toute la Suisse ont fait le déplacement – souligne l’importance de cette thématique. D’autres intervenants dénoncent aussi la pression croissante sur les commissions du personnel (CoPe), ou encore le fait qu’elles manquent parfois de culture syndicale et d’indépendance vis-à-vis de la hiérarchie.
Règles plus strictes en discussion
Le président de l’Union syndicale suisse (USS), Pierre-Yves Maillard est également là. Tout comme le ministre, il défend le compromis négocié entre les partenaires sociaux sur le sujet du jour. Selon cette proposition, un patron souhaitant mettre à la porte un représentant du personnel devrait lui donner un préavis de deux mois. «Ce délai de réflexion est important, note Pierre-Yves Maillard, car il s’agit souvent de décisions impulsives de la part des employeurs. Cela doit aussi permettre d’éviter le licenciement en trouvant une solution de reclassement.» Si ce délai n’est pas respecté, la mise à pied serait considérée comme abusive, ce qui donnerait droit à des indemnités se montant jusqu’à dix mois de salaire, contre six actuellement. Cela s’appliquerait aux membres des CoPe, aux délégués ayant négocié une convention collective de force obligatoire et aux membres de conseils de caisses de pension.
«Les indemnités, c’est comme le Dafalgan® pour le mal de tête, déplore Grazia, une déléguée zurichoise. Mais il vaut mieux prévenir que guérir, et s’attaquer à la cause du mal.» Le président de l’USS admet que ce n’est pas une solution parfaite, mais il insiste: «Ce compromis, c’est un progrès important. Aucune CCT ne va aussi loin.» Il est le fruit de quatre ans de négociations, découlant des plaintes déposées il y a plus de vingt ans par l’USS auprès de l’Organisation internationale du travail (OIT), et qui ont valu à la Suisse d’être mise sur liste noire pour l’insuffisance de sa législation contre les licenciements antisyndicaux. «Etre sur liste noire a nui à la réputation du pays, reconnaît Guy Parmelin. Le Conseil fédéral a donc proposé plusieurs modifications de notre législation, mais elles n’ont jamais trouvé de majorité au Parlement. C’est pourquoi en 2019, j’ai voulu mettre en place une médiation afin de trouver une solution équilibrée. Le résultat, c’est ce compromis, qui n’est pas une garantie absolue de garder son poste, mais c’est mieux que le statu quo. Désormais, un employeur va y réfléchir à deux fois avant de licencier un représentant du personnel.»
Convaincre le Parlement et le peuple
Encore faut-il que le Parlement avalise les quatorze mesures de politique intérieure pour la protection des salaires, négociées par les partenaires sociaux dans le cadre des Bilatérales III, auxquelles a été intégré ce dispositif sur les licenciements antisyndicaux. «Si cette mesure est supprimée, ou affaiblie, nous retirerons notre soutien à l’ensemble du paquet, prévient Pierre-Yves Maillard.
Secrétaire régionale d’Unia Neuchâtel, Silvia Locatelli demande à Guy Parmelin jusqu’où le gouvernement est prêt à s’impliquer si ce compromis échoue au Parlement ou devant le peuple. «Le Conseil fédéral s’engage pour un paquet équilibré, répond le ministre. Si celui-ci est rejeté, il faudra voir s’il y a des éléments qu’on peut reprendre. Je suis sincèrement convaincu que cet aspect spécifique de la protection contre les licenciements devrait l’être.» Selon Pierre-Yves Maillard, Guy Parmelin est le seul conseiller fédéral qui se soit soucié du fait que la Suisse ne respecte pas les normes de l’OIT. «Les autres s’en fichaient.»
En tout cas, Vania Alleva, présidente d’Unia, assure que le syndicat est prêt à se battre: «Nous allons mettre une pression énorme pour que ce paquet de mesures passe au Parlement et devant le peuple.» Pour sa part, Yves Defferrard, membre du comité directeur d’Unia en charge de l’industrie, rappelle l’importance du rapport de force: «La première protection contre les licenciements antisyndicaux, c’est de se mobiliser pour avoir une représentativité suffisante dans les entreprises. Vous devez inciter vos collègues à se syndiquer.»