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Les syndicats posent un ultimatum à une entreprise de restauration

Entre autres doléances, des employés ont dénoncé le fait de devoir parfois uriner dans un gobelet sur leur point de vente en raison du manque d’effectifs.
© Eric Roset

Entre autres doléances, des employés ont dénoncé le fait de devoir parfois uriner dans un gobelet sur leur point de vente en raison du manque d’effectifs.

Unia et le Sit ont dénoncé des «dysfonctionnements graves» au sein de l’entreprise de restauration Swisscanonica, active sur le site aéroportuaire de Genève

«Après plusieurs mois de négociations, nous nous trouvons dans une impasse totale.» Lors d’une conférence de presse organisée le 26 octobre à l’aéroport de Genève, Unia et le Sit ont dénoncé des «dysfonctionnements graves» au sein de la société de restauration Swisscanonica. Cette dernière, active sur le site aéroportuaire, emploie plus de 60 personnes sur ses 20 points de vente. Sur la longue liste de doléances des syndicats figure notamment la question de la réduction d’horaire de travail (RHT). Swisscanonica avait recouru à ce dispositif plusieurs jours en décembre 2021 en raison de la pandémie de Covid. Contraints de demeurer à la maison, les salariés restaient néanmoins à la disposition de l’employeur. Ils avaient alors été payés à 80%, comme le prévoit le système. Montant que l’entreprise avait complété en versant 20% de plus à ses collaborateurs plusieurs mois plus tard avant d’exiger qu’ils ne rattrapent ces heures, inscrites en heures négatives.

Des milliers d’heures de RHT volées

«Un scandale: la loi prévoit que l’employeur supporte le risque économique. Des milliers d’heures de RHT ont été volées aux salariés», ont fustigé Unia et le Sit. Autre point d’achoppement: le temps s’écoulant entre le moment où les travailleurs prennent leur caisse et l’arrivée à leur poste de travail. Un temps rémunéré par un forfait jugé insuffisant. «Le personnel doit retirer sa caisse auprès de machines souvent défectueuses, franchir le contrôle de sécurité, souvent encombré, avant de rejoindre le point de vente, parfois très lointain où il est enfin possible de pointer.» Les syndicats ont aussi critiqué des «pauses rognées» en raison de la durée nécessaire pour gagner le local prévu à cet effet et divisant alors par deux le moment de repos prévu par la loi. Le remboursement d’éventuelles erreurs de caisse, alors même que «les employés ne connaissent pas le chiffres d’affaires à la fin de leur shift», a également suscité la colère d’Unia et du Sit. Sans oublier le changement, sans l’accord des salariés, de l’horaire de nuit qui, de 23h à 6h, est passé de 22h à 5h. «La Loi sur le travail permet de le faire, mais seulement si le personnel concerné est consulté au préalable.» Les syndicats ont encore dénoncé un «absentéisme important» et, partant, du personnel manquant. Une situation qui contraindrait des employés, seuls à leur poste, à uriner dans des gobelets. La problématique de «plannings sans cesse modifiés» a encore été évoquée. Dans ce contexte, Unia et le Sit ont posé un ultimatum au 9 novembre prochain au patron de l’entreprise, Vincent Canonica, pour «revenir sur ses positions inacceptables». Sans nouvelles, ils envisagent de recourir à des mesures de lutte et saisir les instances juridiques.

Témoignages

«Je vais au travail à reculons»

Georges* n’a toujours pas digéré le fait de devoir rendre des heures à l’entreprise après avoir été mis en RHT. «On nous a demandé de rester à la maison en raison du Covid. Parfois, on nous appelait quand même pour venir travailler. Un an plus tard, j’ai reçu une lettre. La direction me réclamait 40 heures. Le choc! Nous n’étions pas responsables de la situation», s’indigne le vendeur, qui a fini de restituer ce temps de travail décompté de ses heures supplémentaires. Autre raison de son mécontentement: la prise en compte insuffisante du temps nécessaire pour rejoindre son poste. «Nous devons récupérer le fond de caisse dans un bureau et gagner le point de vente en passant les contrôles. Il arrive qu’il y ait la queue, ce passage n’étant pas seulement réservé au personnel mais aussi aux voyageurs ayant besoin d’assistance. Il serait plus juste que nous pointions au moment de prendre le fond de caisse.» Si Georges s’est toujours autorisé à aller aux toilettes, fermant au besoin le commerce, il affirme qu’il a vu à plusieurs reprises, à son arrivée le matin, des gobelets remplis d’urine. «La raison tient au manque de personnel.» L’employé, qui comptabilise de nombreuses années de service, estime que les conditions de travail ont empiré, entre les sous-effectifs et «un management qui laisse à désirer». «Mon sentiment? On se moque de nous. On fait traîner les choses. 80% du personnel se plaint de la situation, mais nous ne sommes qu’une poignée à oser la dénoncer. J’ai bien sûr une petite peur qu’on me licencie.» Si Georges aimait autrefois son travail, en particulier pour le contact avec la clientèle, il confie aujourd’hui «y aller à reculons».

«Le patron n’est pas réglo»

«Le patron n’est pas réglo. Il ne respecte pas ses employés», affirme José*, fâché d’avoir dû pour sa part rendre 100 heures à la suite de la problématique liée au RHT. «J’arrive au bout, il m’en reste une quinzaine. Je fais des heures supplémentaires depuis une année. Mais c’est inadmissible. On nous fait travailler gratuitement, alors qu’on nous a dit de demeurer chez nous.» José dénonce aussi le manque d’effectifs qui l’a conduit à devoir plusieurs fois uriner dans un gobelet, se trouvant seul à son poste. «C’est assez fréquent. On fait face à une organisation zéro. On a plusieurs fois signalé le problème des sous-effectifs à la direction. Le patron a rétorqué que ce n’était pas de sa faute, qu’il cherchait à recruter», ajoute José, estimant que l’on exige toujours plus des salariés, que les managers procèdent «à des changements inutiles et brassent de l’air». José peste lui aussi contre le temps de parcours pour rejoindre son poste qui n’est pas entièrement rémunéré. «L’entreprise comptabilise 16 minutes aller-retour. Il en faut au moins 30.» Quant au local de pause, bien trop éloigné de son poste de travail, José n’y va jamais. «J’ignore même où il se situe précisément. Je fais ma pause dans la salle d’embarquement, avec les passagers.» José précise dénoncer ces problèmes «par principe, face à une situation qui n’est pas normale». «Aujourd’hui, je suis dégoûté de la hiérarchie. C’est dommage. Ça pourrait mieux tourner. Le personnel n’est pas considéré.»

* Prénoms d’emprunt

«Des méthodes de gangster»

«Je suis choqué. Ce sont des méthodes de gangster.» Contacté par téléphone, Vincent Canonica réagit à l’action des syndicats. Le patron de la société se dit d’autant plus outré que les négociations en cours impliquaient, affirme-t-il, un silence des deux parties. «La convention de confidentialité n’a pas été respectée», s’indigne le chef de l’entreprise familiale créée en 1948. Dans ce contexte, l’homme refuse de s’exprimer sur le «prétendu» litige relatif au RHT. En revanche, il conteste fermement le fait que des employés urinent dans des gobelets: «C’est la première fois que j’entends cela. Il y a des toilettes partout dans l’aéroport.» Cette information, estime Vincent Canonica, traduit uniquement «une volonté de nuire à l’image de l’entreprise, de la dénigrer». «Nous nous réservons, sur cet aspect, le droit d’aller plus loin, au civil et au pénal.» Le directeur affirme qu’il ne manque pas de personnel de manière chronique. «Il arrive qu’il y ait des absences, mais nous remplaçons les collaborateurs manquants. Comme le travail dans la zone aéroportuaire nécessite l’octroi de badges ad hoc, nous avons parfois besoin, si le remplacement n’est pas effectué par une personne de l’équipe existante, d’un temps de réaction pour pallier les absences par le recours à des agences de placement disposant de personnel badgé.» Enfin, sur la question de la poursuite des pourparlers avec les syndicats, Vincent Canonica insiste sur le fait que l’entreprise n’a pas rompu les négociations. «Mais pour discuter, il faut être deux. Nous restons ouverts au dialogue. Ce sont les syndicats qui ont quitté la table des négociations. Je les invite à revenir.»

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