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Les limites psychologiques face aux limites planétaires

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© Thierry Porchet / Archives

«Je pense que nous devons commencer à songer à une approche palliative de l’humanité», note Oriane Sarrasin, enseignante et chercheuse en psychologie sociale à l’Université de Lausanne. Photo: mobilisation de la Grève du climat à Lausanne, mars 2019.

En marge de la votation du 9 février sur la responsabilité environnementale, Oriane Sarrasin nous explique les raisons psychologiques et sociales de notre manque d’action.

Fin janvier, une conférence en ligne a été organisée par la conseillère nationale socialiste, Martine Docourt, pour un «oui» dans les urnes le 9 février «Pour une économie responsable respectant les limites planétaires (initiative pour la responsabilité environnementale)».

Oriane Sarrasin, enseignante et chercheuse en psychologie sociale à l’Université de Lausanne, y a participé. Elle s’est exprimée sur les raisons de nos difficultés à reconnaître le dépassement des limites planétaires et ainsi à soutenir les mesures pour protéger le climat. Entretien.

Pourquoi n’arrivons-nous pas à agir à la hauteur du défi climatique?

Des milliers d’études sur la psychologie du changement climatique existent au niveau international. Ce qui explique l’inertie ne se situe pas qu’au niveau de l’individu, mais également aux niveaux systémique et collectif. Nous réagissons avec toute une série de biais, qui sont rarement le fait d’un déficit de connaissances. Car les effets du changement climatique, surtout lorsque le monde occidental est touché – comme les incendies à Los Angeles ou les inondations à Valence –, sont très médiatisés.

En fait, les biais sont largement idéologiques et reposent sur notre propension à l’altruisme, à l’empathie, à considérer l’autre. La Suisse vit aux dépens des autres régions du monde et des générations futures. On a normalisé l’anormal. Nous vivons dans l’excès, mais nous nous sommes si bien habitués que c’est très difficile de revenir à une vraie «normalité». Si, jusqu’à présent en Suisse, notre capacité économique permet de mettre des pansements, cela ne va pas pouvoir durer encore longtemps.

Le discours du Conseil fédéral concernant la votation du 9 février n’est-il pas problématique également tant son message est ambivalent?

En résumé, il dit que la situation est grave et qu’on dépasse les limites, mais qu’on fait ce qu’il faut. L’agenda communicationnel du débat public construit et alimente certaines représentations. Le discours du délai, comme celui d’être un petit pays qui en fait déjà assez, permet l’inertie. Le revenu est le premier indicateur: plus on gagne plus notre impact écologique est grand en moyenne. Pas étonnant qu’en Suisse, nous dépassions de 10 à 15 fois notre quota carbone. Même si je n’oublie pas la souffrance de nombreuses personnes qui, ici aussi, peinent à boucler leurs fins de mois.

Faire porter à l’individu toute la responsabilité est faux, mais chacun peut créer une forme d’exemplarité. Des pilotes d’avion qui osent quitter leur job publiquement pour des raisons écologiques – même si d’autres prendront leur place – ont un impact sur les consciences, même s’il n’est pas directement quantifiable. Dans le monde scientifique, nous sommes très bien informés. Or, paradoxalement, nous contribuons énormément à la pollution, en prenant fréquemment l’avion et en continuant à construire des bâtiments, alors que beaucoup de bureaux sont sous-utilisés. Il suffirait de réorganiser l’affectation des lieux, mais il y a une forme d’élitisme et d’habitude des profs qui tiennent à leur bureau personnel. Chacun doit critiquer ses propres privilèges. 

Quelles solutions alors pour convaincre, par exemple, de voter «oui» le 9 février?

La question de la justice climatique est centrale. Comment faire pour que les plus précaires ne soient pas affectés. En caricaturant, si on impose une forte taxe sur les billets d’avion, les riches la paieront sans problème pour partir en vacances, alors que certaines personnes d’origine étrangère et moins aisées devront renoncer à aller voir leur famille. Lors de la votation sur la biodiversité, protéger la nature faisait appel à un idéal et à l’altruisme, alors que les opposants parlaient très concrètement du «ici et maintenant». Il n’y a pas des méchants d’un côté et des gentils de l’autre. Personne ne se réjouit du réchauffement climatique. Les scientifiques mettent en garde depuis 40 ans, et annoncent que tout change plus vite que prévu avec des atteintes irrémédiables et des effets de bascule qu’on peine à anticiper. Personnellement, alors que je me considère comme quelqu’un d’optimiste, je pense que nous devons commencer à songer à une approche palliative de l’humanité. Je suis intervenue dans des classes d’élèves de 8 à 9 ans et ils étaient tous impressionnants de lucidité. J’ai participé à une étude qui impliquait une soixantaine de pays et environ 40000 personnes sur ce qui pouvait influencer le soutien aux politiques publiques pour le climat et l’environnement. Ce qui a eu le plus grand impact, c’est le fait de demander aux participants d’écrire une lettre à un enfant dans le futur… 

 

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