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«Les frontières sont des outils de domination»

Portrait de Sophie Guignard.

Secrétaire politique de Solidarité sans frontières, Sophie Guignard s’inquiète de la montée des fascismes et appelle à repenser la migration.

D’aucuns la trouveront radicale. Un qualificatif qui ne heurte pas Sophie Guignard. La combative secrétaire politique de Solidarité sans frontières (Sosf) défend avec force la nécessité d’une position d’ouverture. Et estime impératif de repenser la migration. «On ne résoudra pas les problèmes en tentant d’empêcher les déplacements. Et il n’y a rien d’extrême à exiger les mêmes droits pour tous», affirme cette femme de 37 ans, plaidant pour la liberté de mouvement et associant les frontières à «des outils de domination». «Une construction politique d’une violence inouïe.» Même commentaire critique sur les papiers, «une sorte d’artifice permettant de montrer patte blanche, de légitimer sa présence. La notion de nation ne me parle pas», ajoute-t-elle, pensive, tout en ayant conscience du sésame que représente le passeport suisse…

Question de partage
Pour Sophie Guignard, l’accueil des migrants est aussi «une manière de partager les richesses». Un argument qu’elle justifie par le passé colonial de pays du Vieux-Continent et la part de responsabilité de l’Occident dans le déséquilibre Nord-Sud. La trentenaire insiste encore sur l’aspect historique des migrations. «Ce phénomène appartient à la culture de l’humanité. On a toujours circulé par nécessité d’adaptation à son environnement. Bloquer les routes de l’exil n’y changera rien. Cette volonté les rend seulement plus dangereuses et génère davantage de violence. Rien ne peut freiner l’espoir.» Sophie Guignard rappelle par ailleurs que l’asile relève d’une obligation légale, pas d’un acte de gentillesse. Non sans déplorer que ce droit s’apparente de plus en plus à une coquille vide, avec des lois qui n’ont cessé de se durcir. 

Sombre période en perspective
«En Suisse comme en Europe, la politique migratoire n’est pas appréhendée comme un thème à part entière. On a laissé la droite, et les racistes, s’emparer de cette question et l’instrumentaliser. Une grave erreur. Les migrants sont les boucs émissaires des conséquences néfastes du néolibéralisme», s’enflamme la représentante de Sosf, dénonçant l’hypocrisie entourant le sujet, en particulier sur le marché du travail. «Sans l’apport des immigrés, des pans entiers de l’économie ne tourneraient pas, comme le secteur de la construction ou le domaine des soins.» L’exploitation de la haine des étrangers par la droite dure, notamment à des fins électorales, ouvre la porte aux fascismes, souligne encore Sophie Guignard. «Leur montée me terrifie. La gauche ne s’est clairement pas suffisamment saisie de la thématique. Nous nous dirigeons vers une période sombre.» Pas de quoi toutefois décourager la militante. Cette réaliste positive, comme elle se définit elle-même, estime qu’il n’est pas trop tard pour continuer la lutte. Un combat qui résonnait déjà dans sa jeunesse.

L’expérience du déracinement
«J’ai grandi dans un milieu de gauche, bien que plus modéré. Mon père socialiste a rempli la fonction de syndic à Villeneuve. Ma mère a toujours été sensible aux injustices et a été un exemple d’empathie radicale et de solidarité pratique. Mes parents m’ont inculqué leurs valeurs», raconte cette fille unique qui, adolescente, verra son quotidien bouleversé par le déménagement de la famille hors du canton de Vaud. Première expérience, toute proportion gardée, d’un déracinement. «D’une gravité relative, bien entendu, mais à cette période de ma vie, j’ai trouvé le départ difficile», raconte celle qui changera par la suite plusieurs fois de lieu de vie, entre ses études et ses séjours à l’étranger – en Allemagne et en Espagne – et son travail. Titulaire d’un master en sciences sociales avec une spécialisation en migrations à l’Université de Neuchâtel et d’un autre de l’HEP Lausanne, Sophie Guignard a ensuite œuvré comme assistante scientifique à l’Institut de sciences politiques de l’Université de Berne. Au préalable, elle a aussi effectué des mandats en tant qu’enseignante pour des élèves du secondaire. 

Hors la loi, vraiment?
Depuis 2021, Sophie Guignard remplit la mission de secrétaire politique de Sosf. Elle a fait auparavant ses classes comme bénévole dans cette ONG mais aussi dans différents collectifs comme Droit de Rester à Fribourg et à Lausanne. Des expériences de terrain qui, affirme-t-elle, lui ont davantage appris que son cursus universitaire. Et l’ont largement confrontée aux conséquences d’une politique d’asile toujours plus restrictive et coupée de la réalité. Elle pense notamment à l’impact du régime de l’aide d’urgence qui plonge des requérants déboutés dans la précarité sur le long terme. Une politique de dissuasion inopérante, qualifiée de «cruauté et de maltraitance». Elle s’indigne aussi des renvois inhumains vers la Croatie. Dans des contextes d’expulsions inacceptables, n’écoutant que son cœur, Sophie Guignard n’a pas hésité à entrer en désobéissance civile, participant à des refuges. «Qui est alors hors la loi? Les exilés qui s’abritent dans des églises de peur d’être renvoyés dans leur pays en raison des dangers encourus ou la police qui réveille des personnes à 4 h du matin, les menotte et les expulse sans état d’âme, indifférente aux risques qui les menacent?» interroge l’activiste. Sophie Guignard partage encore son indignation sur d’autres causes. Et fustige «le silence entourant le génocide en Palestine». Rien ne l’irrite davantage que l’indifférence. «Nombre de personnes sont conscientes de l’horreur des situations. Pourtant, et bien qu’étant privilégiées, elles ne se mobilisent pas.» Heureusement, la jeune femme trouve auprès de sa «communauté d’affinité» énergie et réconfort. Et confie craindre seulement perdre la joie. Une émotion certainement aussi alimentée par une devise qu’elle a adoptée, et qui dit en substance: «On y va… Envers et contre tout, le monde nous appartient.» A elle, et tout autant à celles et à ceux dont elle défend les droits avec courage et passion...