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Les femmes, aussi, souffrent au travail

Portrait de Vivane Gonik.
©Thierry Porchet

«Les maladies professionnelles touchant les femmes sont peu étudiées, peu considérées et peu reconnues par les assurances sociales», souligne Viviane Gonik.

La santé des femmes au travail est une question qui préoccupe peu. Pourquoi, et comment y remédier? Entretien avec Viviane Gonik, ergonome retraitée à Genève, à la veille de la grève féministe du 14 juin

Même dans l’ombre, les femmes ont toujours travaillé, aux champs ou à l’usine. Tantôt vues comme dangereuses ou immorales, les travailleuses ont toujours été considérées comme illégitimes au travail, et donc rejetées par les hommes. Encore aujourd’hui, une épouse ou une mère qui travaille peut être regardée d’un mauvais œil. Si les femmes ont été des actrices clés de l’économie à travers les époques, elles restent trop souvent associées à leur rôle domestique, au sein du foyer, là où leur place est estimée naturelle.

Tout comme celles des hommes, les conditions de travail des femmes ont des répercussions sur leur santé mais celles-ci ne sont pas reconnues par les politiques actuelles de santé et d’assurances sociales, laissant la place à des discriminations envers elles. Viviane Gonik, ergonome et spécialiste en santé du travail à la retraite, nous en dit plus.

En quoi la santé des femmes au travail est-elle différente de celle des hommes?

Mise à part la question liée à la reproduction, elle n’est pas si différente que cela justement, si ce n’est que les maladies professionnelles touchant les femmes sont peu étudiées, peu considérées et peu reconnues par les assurances sociales. On a toujours réservé aux femmes des problèmes d’ordre psychologique, notamment la fameuse crise de nerfs, et minimisé ses troubles physiques. C’est là où se situe le vrai problème.

A quels risques les femmes sont-elles exposées?

Historiquement, le travail des femmes a toujours été considéré comme léger et sans risque, contrairement à celui des hommes, jugé lourd et physique. Il suffit de se pencher sur quelques métiers très féminisés, comme les caissières, les infirmières ou encore le personnel de crèche, pour se rendre compte du contraire. Certes, porter un sac de ciment est lourd, mais déplacer une personne âgée qui bouge et se débat, c’est autre chose.

A l’origine des problèmes de santé, on retrouve les questions des postures ou de charge, chez les couturières, les femmes de chambre ou les caissières, entraînant des troubles musculo-squelettiques. Il y a aussi la manipulation de produits toxiques et autres substances chimiques pouvant engendrer cancers ou allergies, par exemple dans la coiffure, la cosmétique, la blanchisserie ou encore l’horlogerie.

Comment expliquer cette différence de traitement?

Il y a plusieurs éléments. Les syndicats se sont traditionnellement toujours intéressés aux hommes. C’est ainsi que la question de la santé au travail s’est construite autour des métiers typiquement masculins et des pathologies telles que la silicose ou encore les maladies liées à l’amiante. Dans les années 1970-1980, quand les hommes revenaient du travail avec les habits couverts d’amiante, la question des épouses qui les lavaient ne s’est jamais posée… Idem pour la recherche, qui est très lacunaire. Beaucoup d’études ont été menées sur le lien entre travail et cancer du sein chez l’homme, pourtant rare, alors que cela a peu été investigué pour les femmes.

L’autre problème, c’est l’imprécision des données, car les statistiques en Suisse ne sont pas sexuées. Il y a en outre une rigidité de notre système: le syndrome du canal carpien, par exemple, est reconnu comme maladie professionnelle liée aux gestes répétitifs partout, sauf en Suisse!

Enfin, d’elles-mêmes, les femmes ne font pas le lien entre leur travail et leurs problèmes de santé, tout comme les médecins posent rarement à leurs patientes la question de la profession exercée.

Il faut dire que, même pour les hommes, faire reconnaître une maladie professionnelle est un parcours du combattant…

En effet, un signalement à la Suva demande un très gros travail, et il est rare de réussir à réunir toutes les preuves. Ce système de protection de la santé au travail a été conçu au début du XXe siècle et devrait être remis en question, pour tous, hommes et femmes. Il a été construit autour de secteurs d’activités, mais non de l’activité réelle. Ce mélange des genres empêche la prise en compte de nombreux facteurs. Sans oublier que les valeurs limites sont calculées sur une semaine de travail de 40 heures, ce qui exclut les emplois à temps partiel, majoritairement occupés par des femmes…

Comment mieux protéger les femmes au travail?

Concernant l’usage de produits dangereux, il existe aujourd’hui des produits de remplacement qui sont moins nocifs pour la santé. La formation est aussi un bon outil de prévention.

Pour le reste, il est clair que diminuer la charge de travail aurait un impact sur la santé de la travailleuse: si deux femmes de chambre sont prévues pour faire un lit, elles se casseront moins le dos. La tendance est, hélas, aux baisses des effectifs. Enfin, les syndicats doivent continuer de s’emparer de la question des femmes, et les hommes doivent, à leur tour, soutenir leurs luttes sans pour autant se mettre sur le devant de la scène.

Pensez-vous que les choses sont en train de bouger?

La prise de conscience se fait petit à petit. Le lien entre travailleuses, syndicalistes et scientifiques, comme le pôle de recherche canadien «L’invisible qui fait mal», peut créer des dynamiques intéressantes.

Pour aller plus loin:

http://www.invisiblequifaitmal.uqam.ca/

Laurent Vogel, La santé des femmes au travail en Europe. Des inégalités non reconnues.

Rolande Pinard, L’envers du travail, le genre de l’émancipation ouvrière.

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