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Le très sombre quotidien entre les murs de deux EMS genevois

Personnes attablées
©Olivier Vogelsang

Clara Barrelet du Sit (à gauche) aux côtés de Arlette Olama Messi d'Unia, dénoncent aux représentants de la presse les conditions de travail dans les deux homes genevois. 

Licenciements à la chaîne, démissions en cascade, management toxique et climat de terreur: Unia et le Sit relaient les graves dénonciations du personnel.

Rien ne devrait justifier le fait que pour se rendre au travail et pour tenir le coup durant la journée, il faille recourir à des médicaments. Rien non plus, dans ce même domaine professionnel, ne devrait provoquer des crises de panique, de sévères états d’anxiété, des pathologies psychosomatiques ou des insomnies nécessitant la prise de somnifères. C’est pourtant de cela qu’est composé le quotidien d’une partie conséquente de travailleuses et de travailleurs de deux établissements médico-sociaux (EMS) genevois: ceux de Fort-Barreau et des Tilleuls. Rien ne va plus depuis la nomination de la nouvelle directrice en janvier 2023, dans une fonction qui chapeaute les deux sites avec leurs 200 employés. Licenciements perlés prononcés sans préavis et sans raisons valables – on en compte seize depuis juin 2024 – démissions massives à tous les échelons, disfonctionnements dans le management et d’autres griefs encore: les deux structures vivent des temps sombres. Et certains employés ont décidé de le raconter par le menu détail.

Partir à toute vitesse
Soutenus par Unia et le Sit, ceux-ci ont rendu publiques leurs nombreuses doléances, que la direction a eu l’occasion d’entendre à deux reprises lors de réunions avec les représentants des deux syndicats sans y donner pour autant les suites souhaitées. Les témoignages font état du climat de terreur qui règne désormais dans les deux homes. «On est convoqué par des cadres sans savoir si c’est pour un simple échange ou si on va être licenciés de manière abrupte, explique Marion*. Tout peut basculer d’une heure à l’autre et cela peut arriver à tout le monde. On se retrouve alors aux vestiaires, juste le temps d’embarquer ses affaires et de se retrouver à la porte.» C’est ce qui s’est produit précisément avec Nathalie*: «Un matin, on m’a dit que j’étais virée pour faute grave, alors que l’argument est absolument fallacieux. On m’a accompagnée au casier, je l’ai vidé en mettant tout dans un sac-poubelle, parce que, prise par surprise, je n’avais rien d’autre à la place. On m’a traitée comme une criminelle, je n’ai pu saluer personne, ni les résidents, ni mes collègues.»

Ces procédures expéditives vont à l’encontre de ce que stipule la convention collective de travail, signée fin 2024 et entrée en vigueur le 1er avril 2025. C’est ce que rappelle Clara Barrelet, secrétaire syndicale au Sit: «En cas d’insatisfaction, l’employeur doit convoquer l’employé, fixer avec lui des objectifs et établir un délai pour évaluer la collaboratrice ou le collaborateur. Tout cela doit être fait par écrit.» En contournant cette mesure, la direction a généré un contexte d’autant plus inacceptable que, comme le relève la représentante d’Unia, Arlette Olama Messi, «ce secteur est subventionné par des entités publiques.»   

Une dizaine de voix a décidé de dénoncer les agissements de la hiérarchie et l’inaction de la Fondation pour l’accueil et l’hébergement des personnes âgées. D’autres encore l’ont fait par écrit. Tous soulignent que les départs volontaires et les licenciements ont accru la charge de travail pesant sur le personnel et ont largement contribué à désagréger des liens précieux qu’entretenaient les différents corps de métiers: «Nous avons perdu l’approche pluridisciplinaire, s’insurge Claude*. Aujourd’hui, celles et ceux qui se dédient à l’animation ont reçu l’ordre de ne pas faire de gestes relevant de près ou de loin à des soins auprès des résidents. Des résidents déambulent parfois dans les couloirs en ayant fait leurs besoins sur eux et personne ne leur vient en aide.» Une partie de ceux-ci souffre de problèmes cognitifs graves; «ce sont des cas compliqués, qu’on préfère désormais voir confinés dans leur chambre plutôt que de les intégrer dans des salles communes», témoigne Esther*. 

La bibliothèque à la benne
Les anomalies évoquées par personnel des Tilleuls et de Fort-Barreau sont nombreuses et variées. Elles portent tout aussi bien sur les lieux de repos qui lui sont destinés («vétustes, mal équipés et placés au fond d’une salle de bain») que sur l’attitude de la directrice. Celle-ci ayant pour habitude d’interroger les employés sur leur vie privée et sur celle des collègues. Un collaborateur préposé à l’animation dénonce la destruction délibérée d’œuvres artistiques réalisées par les patients et la mise à la benne d’une partie conséquente des livres qu’on pouvait trouver à la bibliothèque. Une collègue évoque la récente introduction de badges permettant désormais de savoir qui fait quoi et qui passe par quel couloir et quelle porte. «Le climat de confiance qui régnait autrefois dans ces lieux a tout simplement disparu.»

La dégringolade des conditions de travail affecte ainsi tout le monde: personnel médico-social et patients. Ce que les familles des résidents ne cessent de pointer avec leurs remarques. Désormais, après les rendez-vous infructueux qui ont eu lieu entre l’automne 2024 et le printemps dernier avec la direction, Unia et le Sit réclament un audit externe permettant d’évaluer le management de la direction. Faute de démarches concluantes, les deux syndicats annoncent qu’ils s’adresseront aux instances étatiques. 

Sollicitée par téléphone, la directrice des EMS des Tilleuls et de Fort Barreau, Leïla Karbal-Durand, n’a pas donné suite à notre requête d’entretien. 

*Noms connus de la rédaction

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