Le Conseil national porte atteinte aux salaires minimums

La vice-présidente d’Unia Véronique Polito s'exprime sur la place Fédérale, aux côtés de la présidente Vania Alleva, lors de l’action d’Unia qui a précédé le vote du Conseil national.
Contre l’avis du Conseil fédéral, des cantons, du vote populaire et des syndicats, la Chambre basse a adopté la motion Ettlin qui s’attaque aux bas revenus.
Une ombre menaçante planait depuis plusieurs mois sur les travailleuses et les travailleurs de Suisse, et elle se manifestait à travers la motion Ettlin, du nom de son initiant, le conseiller aux Etats Erich Ettlin (Centre). La proposition de l’élu envisageait de modifier la loi fédérale permettant d’étendre le champ d’application des conventions collectives. Celles-ci devant désormais primer sur les lois fixant des salaires minimums dans certains cantons et villes de Suisse. Validée au début du mois d’avril par une majorité des membres de la Commission de l’économie et des redevances du Conseil national, puis débattue au plénum, la motion a été adoptée par la Chambre basse au matin du 17 juin. Le dossier passera désormais sur les bancs du Conseil des Etats, qui devra à son tour se prononcer dans les semaines qui viennent.
L’acceptation définitive du texte engendrerait un bouleversement néfaste en matière de politique salariale, en remettant précisément en discussion les salaires minimums légaux adoptés par vote populaire dans les cantons de Genève et de Neuchâtel, mais également dans les villes de Zurich, Winterthour et Lucerne. Ce mécanisme, qui a fait largement ses preuves, serait rendu dès lors caduc face à l’entrée en force des conventions collectives de travail (CCT) prévoyant des salaires inférieurs aux minima cantonaux.
Atteinte à la démocratie
«Pour la première fois dans l’histoire, il est prévu de réduire les salaires par le biais d’une loi fédérale», s’indigne dans un communiqué l’Union syndicale suisse (USS). Et de poursuivre: «Les travailleuses et travailleurs percevant de bas salaires gagneraient encore moins. Si le Conseil des Etats adopte à son tour le projet, des décisions populaires prises démocratiquement se verraient vidées de leur substance.» Cette attaque est tout particulièrement dangereuse pour les couches socioprofessionnelles les plus fragiles, les moins protégées. C’est ce que soulignait la présidente d’Unia, Vania Alleva, dans une conférence de presse qui a précédé le vote du National. Elle signalait, le 27 mai dernier, qu’à Genève et Neuchâtel, des milliers de travailleuses et de travailleurs en situation précaire seront directement concernés: «A Genève, une coiffeuse qualifiée avec trois ans d’expérience professionnelle ou plus pourrait perdre jusqu’à 250 francs par mois. Une employée semi-qualifiée dans le nettoyage des textiles pourrait même subir une perte de revenu de plus de 350 francs». Ce schéma se reproduira avec un impact identique dans le domaine de l’hôtellerie-restauration. Lors de ce même rendez-vous avec la presse, le président de l’USS Pierre-Yves Maillard pointait du doigt l’attaque à la démocratie directe que représente cette motion, puisque la volonté populaire y est dévoyée et contournée. «Le fédéralisme, c’est laisser les décisions se prendre au niveau le plus proche des citoyens. Cette loi bafouerait la Constitution et ses principes fondamentaux.»
Défendue par les partis bourgeois et par la droite dure, la motion Ettlin génère, dans les milieux politiques et économiques, une opposition massive et variée, allant du Conseil fédéral à l’Union des villes, du front constitué de 24 cantons à une partie des associations patronales. Sans doute parce que les études portant sur les effets du salaire minimum ont permis d’identifier et de quantifier les retombées positives du dispositif. Cela concerne tout particulièrement le pouvoir d’achat de milliers de salariés, qui s’est amélioré sensiblement sans que cela provoque une augmentation du chômage. Par effet domino, l’application de la loi génère aussi une revalorisation des salaires situés au-dessus des minima, par un mécanisme de préservation des grilles salariales. Enfin, la mesure se révèle un instrument efficace pour lutter contre le dumping salarial, dans un contexte européen où la libre circulation des personnes est de mise.
Alors que se profile le vote décisif du Conseil des Etats, le monde syndical se dit prêt à se battre avec toutes ses forces contre une loi prévoyant une baisse des salaires. «Nous nous engageons pour une Suisse où le travail ne rend pas pauvre», réitère Unia.