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Le care une affaire de femmes

Les femmes de l'USS se sont réunies pour leur 13ème congrès sous la devise Notre temps vaut plus que ça

Qu'il soit rémunéré ou non, le travail de soins et d'assistance n'est pas valorisé dans notre société actuelle. Les principales victimes restent les femmes.

Le travail de care, salarié ou exercé dans le cadre familial, était une question centrale de ce Congrès sachant que la problématique touche presque exclusivement les femmes et soulève des enjeux récurrents tels que la conciliation entre vie privée et vie familiale, le surmenage et la dévalorisation du travail féminin. Sarah Schilliger, sociologue aux universités de Bâle et d'Osnabrück en Allemagne, a apporté son regard sur le problème et ses pistes d'action.
Rappelons d'abord que le travail de care peut être rémunéré (santé, crèches, EMS, travail domestique) ou pas (garde, soins et éducation de ses propres enfants, prise en charge d'un membre de la famille âgé ou malade, bénévolat). Leur point commun? Tous deux sont effectués principalement par des femmes et tous deux sont indispensables à la bonne marche de la société. Pourtant, le care est très peu reconnu et souvent même caché. «On mesure toujours le PIB pour évaluer la richesse d'un pays, soulève Sarah Schilliger. Le grand secteur du travail non rémunéré est exclu alors que c'est celui qui crée la qualité de vie.» La spécialiste commence par exposer quatre cas réels de care au quotidien: une mère de 38 ans employée dans une crèche qui doit conjuguer travail et tâches domestiques et qui est au bord du burn-out; une femme qui a embauché pour sa mère de 86 ans, dépendante, une assistante polonaise qui veille sur elle jour et nuit; et enfin, une migrante qui propose ses services de femme de ménage et de nounou à une douzaine de familles et qui, malgré sa flexibilité, arrive tout juste à vivre. «La difficile conciliation entre vie privée et vie professionnelle provoque du stress, de la fatigue, des crises de surmenage allant jusqu'à l'épuisement, rapporte la sociologue. Les femmes ont tendance à individualiser cette souffrance mais cela ne relève pas du privé, c'est une question politique!»

Une femme en remplace une autre
Entre le mouvement féministe des années 70 et aujourd'hui, le constat est sans appel: l'augmentation de l'activité professionnelle des femmes n'a pas été accompagnée d'une hausse comparable de l'engagement des hommes dans le care non rémunéré. C'est ainsi que le care a été réparti entre les femmes: celles ne pouvant plus assumer leurs propres tâches ménagères, de soins ou d'éducation les ont déléguées à des filles au pair ou à des employées de maison rémunérées. Avec pour conséquence la mondialisation et le transfert du travail. «Une femme polonaise est recrutée en tant qu'assistante de vie en Suisse et laisse ses proches dans le besoin: c'est une Ukrainienne qui viendra combler les lacunes de la famille en Pologne et ainsi de suite. Voilà comment se forment des chaînes de vulnérabilité transnationales.»

Toujours plus...
Si le care ne peut être rationalisé que de manière limitée, il se voit quand même soumis à la logique de la concurrence et du profit. «Des entreprises proposent des assistantes 24h sur 24 pour 1990 francs par mois, s'offusque la sociologue. Les travailleuses d'Europe de l'Est touchent la moitié de la somme.» De même, dans les soins, on demande au personnel de travailler toujours plus vite et de faire primer l'efficience sur la qualité de la prestation afin de réduire les coûts. «Chaque minute est comptée, il n'y a plus de place pour les contacts humains, souligne Sarah Schilliger. Cette pression à la productivité entraîne des burn-out mais aussi des drop-out, à savoir l'abandon de la profession.»

Combats à mener
L'émancipation des femmes ne passant pas seulement par l'activité professionnelle mais aussi par la valorisation du travail de care, Sarah Schilliger propose plusieurs pistes de réflexion. Si continuer à se mobiliser reste une évidence, elle évoque l'urgence de changer radicalement les mentalités en remettant l'humain au cœur du travail de care. «Il est aussi indispensable de développer l'infrastructure de care de façon démocratique avec de bonnes conditions de travail. Enfin, nous devons réfléchir à un nouveau rapport entre le care non rémunéré et le care lucratif afin de concilier les deux sans créer une surcharge chronique.» Pour la sociologue, la solution pourrait être la baisse du temps de travail afin qu'hommes et femmes puissent équitablement avoir du temps à consacrer au ménage...

Manon Todesco

 

 

La réduction du temps de travail comme solution

Elinor Odeberg, chercheuse pour le syndicat Kommunal, est venue exposer la situation de la Suède qui, malgré les idées reçues, est aussi touchée par les inégalités hommes/femmes.

En Suède, la disparité salariale équivaut chaque année à un manque à gagner de 426600 francs pour les femmes. «Même dans notre pays, pourtant vu comme progressiste en la matière, il y a beaucoup de lacunes», amorce Elinor Odeberg, chercheuse pour Kommunal, le syndicat suédois des employés communaux. Celle-ci évoque la discrimination individuelle dont sont victimes les femmes, de part leur sexe, mais aussi la discrimination statistique en lien avec l'appartenance à un groupe. «Les tâches dites féminines sont moins valorisées que les métiers typiquement masculins. Ainsi, chez nous, les travailleurs du bâtiment sont mieux payés que les personnes travaillant dans les soins. Autrement dit, les salaires les plus hauts représentent les secteurs réservés aux hommes, comme les machinistes ou les techniciens.»
Si le taux d'emploi est très élevé chez les femmes en Suède, le marché reste très discriminé, pas seulement au niveau du salaire mais aussi du taux d'activité et des types de contrats. «L'Etat social suédois a libéré les femmes du travail non rémunéré en leur permettant de devenir économiquement indépendantes, mais le travail de care reste majoritairement pris en charge par les femmes», regrette la chercheuse.
A terme, le syndicat Kommunal préconise la semaine de 30 heures. Actuellement, la loi suédoise impose 40 heures hebdomadaires, et le temps plein moyen s'élève à environ 38h.
Pour y arriver, il faut procéder par étapes. «Il faut d'abord en finir avec les stéréotypes de genre et les discriminations salariales. Une fois que les hommes et les femmes auront des conditions de travail égales, l'objectif sera de baisser le temps de travail dans les secteurs conventionnés puis élargir à l'ensemble du marché du travail, et ainsi, permettre aux hommes de se consacrer davantage au care non rémunéré.» Pour Elinor Odeberg, réduire la semaine de labeur, c'est synonyme de meilleure santé, de plus de temps libre pour faire et voir autre chose, et donc, de plus d'énergie au travail. La réduction du temps de travail peut également passer par davantage de congés, de vacances ou de congés parentaux.

Propositions
Lors d'un atelier animé par Elinor Odeberg sur la question de la baisse du temps de travail, celle-ci a invité les congressistes à réfléchir, au niveau suisse, sur la manière de pousser les hommes à assumer davantage de tâches de care. Selon ses chiffres, en 2011, les hommes suédois dédiaient 7h par semaine aux tâches ménagères contre 12 pour les femmes. Ces dernières assumaient deux fois plus la garde et l'éducation des enfants. «On s'aperçoit clairement que dès que des enfants intègrent le foyer, la répartition devient encore plus inégalitaire.» Les femmes de l'USS ont proposé l'introduction d'un congé parental obligatoire, la rémunération des femmes au foyer ou encore la prise en considération de ces tâches dans les assurances sociales. «Il est par ailleurs impératif d'éduquer nos enfants dans ce sens pour l'avenir», lance une militante tessinoise. «Il faut aussi faire une relecture égalitaire des professions et trouver un système salarial qui ne soit pas basé sur les genres, propose une Romande. Si on répartit les rôles au travail, on y arrivera aussi à la maison.»
Elinor Odeberg donne l'exemple de la Suède et de son congé parental de 16 mois que le père et la mère peuvent se répartir en alternance. Le problème, c'est que 75% de ce congé est pris par les mères. «On aimerait une meilleure répartition. Beaucoup de pères retournent au travail par peur de perdre leur poste ou des opportunités.»
Sur la question de l'environnement de travail, les congressistes ont soulevé l'urgence de prévenir le stress et les maladies liées au travail et d'assurer une formation continue. «Il faudrait aussi contraindre légalement les patrons à soumettre leurs employés à une médecine du travail indépendante et efficiente», a proposé l'une d'elles. Pour la chercheuse, il est fondamental d'améliorer les contrôles sur le lieu de travail et de faire du stress au travail une problématique politique, sociale et syndicale afin que les autorités et les employeurs prennent leurs responsabilités.

En Suisse aussi!
Réunies en plénière, les congressistes ont à ce sujet voté à la quasi unanimité (4 abstentions) une résolution demandant la réduction du temps de travail en Suisse à 35 puis 30 heures par semaine afin de mieux répartir le travail rémunéré et non rémunéré. De même, le texte demande la possibilité pour les femmes d'être employées à un taux d'activité approprié leur permettant une indépendance financière.

Manon Todesco