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François Pilet, l’effondrement du monde et le papillon

Je me promenais l’autre jour à la lisière de l’agglomération lausannoise, dans ce genre de lieu terrible à contempler tant l’industrie de l’habitat s’y reproduit en aspirant des populations nouvelles, à la manière des nouvelles autoroutes qui créent de nouveaux trafics. Et tant elle y commet de crimes contre le peu qui nous reste de l’ordre naturel et de la beauté.
Puis je méditais sur les œuvres de la pensée qui circulent au sein de nos sociétés humaines. En les craignant, une fois de plus, absolument vaines face à l’effondrement du monde en ces premiers moments de l’an 2025. Où notre geste de construire fusionne si parfaitement avec notre ivresse de détruire. Où les rhétoriques déroulées sont si mensongères, l’alliance des extrêmes politiques si contagieuse et les Etats de droit si tueurs.
A ce point des choses, me disais-je, il ne nous reste qu’à débusquer partout les mécanismes dissimulés du pire, les corrélations de la corruption et l’irrigation des effets par les causes. A l’échelle des continents, les rentabilisations par le Génocidaire proche-oriental des culpabilisations historiques induites par le crime octogénaire des nazis. Et à l’échelle des personnes, les conséquences de leur angoisse phréatique inlassablement pansée sans être pour autant pensée, qu’elles expriment sur le mode brutal au moindre effleurement par autrui de leur sensibilité fragile – comme font les chiens mordant d’effroi.
C’est ainsi. Tout s’emboîte. Ah, la chanson noire! Ses strophes, qui ponctuent à la surface de la planète les destructions du Vivant dont si peu perçoivent qu’il constitue notre altérité décisive, la seule capable de nous évaser au-delà de nos limites psychiques et réflexives! Ses refrains, qui détaillent à l’échelle de nos environs la prostitution des villes aux normalisations de la laideur en proportion de la rapacité de ses souteneurs maquillés en promoteurs!
Ainsi vont les fanfares du siècle. Comme aux Etats-Unis, sous le règne retrouvé de leur Menteur narcissique jusqu’au délire, qui limoge la semaine dernière les juges et les avocats ayant instruit ses propres forfaits. Ou qui fait des immigrants sans papiers un produit carné d’ordre addictif pour ses électorats décérébrés. Au point d’être applaudi, l’autre semaine à Davos, par les dirigeants suprêmes instantanément pourris à leur tour de Novartis, d’UBS ou de Zurich Assurance. Au moment où les vers de terre, ces merveilles de créatures en reptation désespérée sur l’asphalte mort de nos préaux d’immeuble les jours de pluie, se font piétiner d’une semelle indifférente sous nos quintaux de colosses machinalisés.
C’est pourquoi tu cherches du secours. En tâtonnant sur terre et dans les nuages. En guettant, dans le jeu des signes et des symptômes, une inversion minimale de la fatalité. En souhaitant l’essor d’un chant complice, le craquement des autoprotections psychiques au profit rétabli de la parole et de l’échange, quelques praticiens de la bienveillance inconditionnelle, une poignée d’interlocuteurs ne glissant pas dans ton âme le poids décisif des découragements ultimes.
Te tourneras-tu vers le royaume de la culture, cette piste Vita des émotions sensibles d’où surgit parfois, par accident statistique ou miracle insigne, un peu de l’art lui-même qui fera flamber ton qui-vive? Peut-être. Ou découvriras-tu comme moi voici peu, par coïncidence, un ouvrage* humble et simple? Qui n’est pas carrossé sous la forme d'un essai littéraire, mais qui rayonne à son instar? Rédigé par un médecin de famille à la retraite appelé François Pilet? Qui fait défiler de chapitre en chapitre l’histoire de ses patients vivants ou disparus distribués en fonction d’une thématique claire et nette?
Alors tu découvriras un soignant qui cherche au lieu d’avoir ciblé, comme ses confrères en nombre, des souffrants à traiter comme des sommes d’organes. Mais qui s’échine à les situer dans leurs contextes personnels. Qui remonte avec eux jusqu’aux instances administratives ou professionnelles coupables de les avoir tourmentés au point de les rendre malades. De quoi réparer, à partir d’un cabinet médical, un petit morceau du monde.
Puis tu refermeras ce livre en lui souhaitant l’«effet papillon» formulé sous forme interrogative, il y a quarante-six ans, par le scientifique américain Edward Lorenz: le battement d’ailes d’un tel insecte au Brésil peut-il parfois déclencher une tornade au Texas? Et tu repartiras, tout ragaillardi par cette image, à l’attaque intellectuelle et politique des saccageurs universels. 

* Des regards et des maux, aux Editions Favre.